Z’oreilles, pas-morts et savance

Depuis les incursions remarquées du Fléau, à vivre aux aguets dans la crainte de voir des morts-vivants attaquer à nouveau Orgrimmar ou les avants-postes proches de la hutte de leur oracle, les Héritiers avaient eu le temps de passer de longs soirs de surveillance à discuter de ce qu'ils feraient quand les choses rentreraient dans l'ordre.

Ceux qui accompagnaient Wa'ai depuis longtemps évoquèrent aux trolls curieux les plus récemment arrivés la quête de savance qu'ils poursuivaient à travers le monde, la légende du loa oublié et l'antique Pierre de vérité porteuse d'espoir pour le retrouver. Ils racontèrent comment des fragments éparpillés de cette stèle pourraient avoir été placés entre les mains des anciens grands empires trolls mais comment les millénaires passés depuis rendaient leur recherche hasardeuse pour en remonter la piste.

Finalement, plusieurs mois après, la situation semblait être stabilisée. La Horde, bien qu'affaiblie par la quatrième guerre, avait tenu bon. Aucune ville n'avait pour l'heure était perdue contre l'ennemi et peu à peu les trolls recommencèrent à faire des projets, à planifier l'avenir malgré les incertitudes.

Après concertation, Ta'ka, Sala'jin et Acrae s'accordèrent pour proposer un nouveau plan d'expédition dans les Royaumes de l'est. De précédentes excursions s'y étaient avérées infructueuses, mais le trio ne s'avouait pas vaincu. L'ancien territoire des trolls des forêts était immense et il ne fallait négliger aucune piste.

Durant le séjour à Zandalar, Sala'jin avait entendu parler des Ecorchemousses, une petite tribu isolée dans les Maleterres hostiles. Quant à Acrae, elle se chargea de contacter des maisons elfique de Quel'thalas susceptibles d'abriter dans leurs collections ou archives des reliques ou informations concernant les trolls des forêts depuis des temps anciens.

Le parcours commencerait donc en douceur par Lune-d'argent via la salle des portails d'Orgrimmar, avant de descendre progressivement vers le sud à travers les bois des chants éternels, de s'enfoncer dans les terres fantômes moins sécurisées pour finalement atteindre les dangereuses Maleterres où le regain d'activité du Fléau nécessiterait sans doute une grande prudence.


Les Héritiers débarquèrent à Lune-d'argent, en respectant les recommandations d'Acrae, la plus habituée aux rencontres diplomatiques :
- retirer les masques et parures impressionnantes dissimulant les visages, signe de politesse chez les Sin'dorei
- si on leur proposait de s'asseoir, s'empresser de le faire, ce qui permet de cacher les pieds sous la chaise ou la table (les orteils trolls mettant parfois mal à l'aise les elfes)
- ne pas sourire ou du moins pas trop largement, car chaque sourire dévoilant les défenses et crocs trolls pouvait être perçu comme une grimace ou mal interprété en un signe bestial d’agressivité.


Ils furent tout d'abord reçus par la directrice Yaminiga Ombréclat et l'intendant Erzan El'nash de la Maison Celwë Belore. Bien accueillis, les elfes firent même des cadeaux à leurs invités, et Hel'kalna le leur rendit bien, en faisant honneur à la table en mangeant le sanglier rôti à leur attention et en troquant avec eux de la viande crue chassée par ses soins. Ils rencontrèrent ensuite la matriarche Elrinna Eth'ellyl, de la maison du même nom, et l'étrange Basyl Dakyl, avec qui ils furent également invités à partager un repas. Les informations récoltées étaient maigres mais au moins, les Sin'dorei se montrèrent conciliants et coopératifs.


Mal à l'aise dans la capitale elfique, le groupe s'installa dans un coin de forêt en dehors de Lune-d'argent, près d'un point d'eau, durant les nuits entre les deux rencontres diplomatiques. Ils y furent découverts par un sorcier elfe du nom de Kaellian de Basse-tour, qui, d'abord intrigué de voir des trolls camper là, s'enquit de leurs motivations et se proposa de les guider vers des ruines amani à moitié englouties jouxtant l'ancien domaine de sa famille. Les trolls devaient en effet bientôt se mettre en route vers le sud et traverser entièrement le royaume de Quel'thalas.


Mais pas avant d'avoir également eu un entretien avec un certain professeur "Yannos Rush", un Sin'dorei explorateur amateur, et aussi amateur de reliques trolles. Ce dernier se montra bien moins cordial que les précédents interlocuteurs, alternant sarcasmes et mépris, mettant les nerfs du groupe à rude épreuve. Sala'jin lui-même dût se retenir de lui arracher la tête, mais il a bout de civiliserie, il découvrit dans la collection du professeur un vieux masque en or ébréché qui ne manqua pas de retenir son attention...

Après de vaines discussions, les trolls accompagnés de Kaellian de Basse-tour finirent par quitter l’échoppe de Yannos. Si le fragment du masques en or l’intéressait, l’explorateur demanda une contrepartie bien trop importante … L’accès à Zul’Gurub ! Rien que ça !

Sala’jin en grogne encore, il a beau eu le prévenir du suicide que représentait une expédition là-bas (surtout pour un elfe!), le Yannos ne voulut rien savoir. Il voulait juste se rendre dans sa cité, pour y piller à son goût. Hors de question !

Le lendemain, les trolls se mirent en route, quittant enfin les environs de Lune-d’Argent et les balais infernaux pour se diriger vers les bien nommées Terres fantômes. C’est aussi là qu’Acrae les quitta pour rester encore quelques jours chez les elfes avant de repartir vers Sen’jin, le devoir envers sa tribu primant sur un voyage comme celui là. A voir les oreilles un peu baissé de la Sombrelance en les regardant partir, il n’était d’ailleurs pas difficile de voir que cela l’attristait de devoir rentrer mais tous comprenaient la raison d’un tel choix. La tribu reste prioritaire.

Guidés par Kaellian et à mesure qu’ils avancent en direction des terres fantômes, l’atmosphère change. Là où la faune et la flore étaient pleines de vie, foisonnantes mais avec un quelque chose d’artificiel, sûrement du à la magie qu’emploie les elfes à tour de bras, cela laisse place aux ombres, à la décrépitude. Comme convenu, l’elfe de sang les emmena en direction d’une ancienne nécropole amani proche des terres appartenant à sa famille (et bien avant, aux trolls).



Sala’jin passe sa main sur les deux grandes tablettes devant l’entrée des catacombes afin de retirer l’espèce de mousses qui cache les détails. Rien d’inhabituel si ce n’est qu’elles semblent a minima entretenu, des trolls en ont sûrement pris soin …

A la lueur des torches, ils progressent lentement, méfiants, les pièges pouvant encore être présents. L’intérieur des catacombes montre des murs abîmé par le temps, la poussière présente, mais aussi des fissures plus ou moins larges dans le plafond où les murs laissent l’eau s’infiltrer. Dans les alcôves visibles, il y a encore les corps momifiés.

Un éclat lumineux, un reflet couleur or reflète la lueur de la torche. Sala’jin fait signe de s’arrêter, devant eux un trolls momifié est debout, ne semblant pas les avoir remarqué. Les quelques bijoux sur lui montrent qu’il devait avoir un statut important. Ancien parle-loa ? Prêtre ?

Quoi qu’il en soit, malgré les protections placées dans les catacombes la malédiction des pas-morts a fini par s’infiltrer et relever certains trolls. Sala’jin et Ta’ka s’approchèrent le plus doucement possible et purent libérer le troll et continuer de progresser, redoublant de vigilance.


L’exploration les amène dans une petite salle, où les fissures permirent à l’eau de s’infiltrer recouvrant la pièce à hauteur de pied. Probablement ancienne salle de prières, le Gurubashi put trouver deux tablettes encore lisibles malgré les conditions de stockage de celle-ci qu’il s’empressa de recopier. Ta’ka pendant se temps montant la garde pu entendre des bruits venant d’une autre pièce non loin.


En s’approchant, ils virent au fond de la pièce une cage, une forme humanoïde à l’intérieur se recroquevilla un peu plus en entendant les pas et la lumière approcher … Une trollesse.

Sala’jin tenta de la rassurer en s’adressant à elle, pendant que Ta’ka sous sa forme de félin entrepris de ronger les cordes maintenant la cage close. Si la trollesse inconnue resta sur ses gardes elle vit bien rapidement qu’ils n’étaient pas là pour la sacrifier ou la tuer et malgré la présence d’un elfe à leur coté, aucun d’eux n’avait l’air de vouloir s’en prendre à elle mais au contraire la libérer.


Faisant rapidement le tour, Sala’jin parvient à voir une autre tablette lisible mais surtout étrangement placée à coté de la cage, prêt d’un autel, visiblement entretenu.

A peine eurent ils le temps de la libérer et de copier la tablette qu’une des alcôves de cette pièce commença à s’illuminer, un esprit cherchant à s’échapper. Ne préférant pas s’attarder tous se précipitèrent afin de quitter les catacombes !


« Mon amulette! »

La trollesse tout juste libérée s’arrête dans la petite pièce couverte d’eau, cherchant désespérément son bien.

« Elle est par ici, j'en suis sure ! »

Sala’jin manque de jurer, Ta’ka s’empressant aussitôt de fouiller avec la trollesse pour retrouver l'objet. Derrière eux Sala'jin surveille l’approche de l’esprit qui approche derrière le corridor. Si jamais il approche trop, il devra les tirer par la peau du coup … ou en laissera une derrière !

« Je l’ai ! »

A peine les mots prononcés, que le guerrier manque des les traîner de force hors de cette salle puis hors des catacombes. Préférant se reposer dans un endroit sur, Kaellian emmena les trolls en direction de l’enclaves des forestiers, à quelque distance de marche.

Après une nuit et un jour de repos dans l'enclave des pérégrins où ils avaient trouvé refuge, les trolls interrogèrent la mystérieuse rescapée rapatriée avec eux. Sur la défensive dans cet environnement elfique, entourée d'éternels ennemis, Ojanka accepta néanmoins de donner des explications et comment elle s'était retrouvée à être laissée sur place, enfermée et offerte en sacrifice aux esprits amani des catacombes dans le but de les apaiser.

Ne pouvant retourner dans sa tribu après ça, elle accompagnerait le groupe pour quitter la région en direction du Sud. Sala'jin et Ta'ka virent l'opportunité d'avoir une locale avec eux connaissant le terrain, mais aussi d'avoir peut-être une intermédiaire pour amorcer une rencontre diplomatique avec les trolls Ecorchemousses qu'ils espéraient trouver quelque part dans les Maleterres. La trollesse des forêts n'avait qu'une faveur à demander en échange : que Sala'jin lui prête sa hache durant deux jours, le temps de régler ses affaires et de couper son passé avant de partir pour de bon.


Le groupe de trolls traversa les sombres bois en suivant Ojanka, déambulant à travers la forêt et les sentiers. Leur guide connaissait bien les lieux et le groupe progressa à bonne allure - accélérant le pas pour distancer les silhouettes inquiétantes errantes aperçues au loin entre les troncs.

Cependant en voulant aller trop vite, Ojanka tomba dans une tourbière, un ancien lac dissimulé sous un tapis végétal piégeux. Sala'jin et la trolle des forêts, marchant en tête, s'y enfoncèrent soudainement, la vase gluante couverte de feuilles, champignons et mousses se refermant sur les jambes comme une ventouse les empêchant de bouger. Sala'jin, plus lourd dans son armure, s'était enfoncé dès les premiers pas, et les autres purent l'atteindre depuis une zone sèche pour l'aider à s'en extirper, mais Ojanka, plus légère, avait franchi plusieurs mètres avant que la traitre tourbière ne la happe. Les trolls cherchèrent un moyen de l'aider avec ce qu'ils pouvaient.

Pendant ce temps précieux, les cris de surprise et l'agitation causée par les efforts pour extraire les trolls avait alerté les créatures mortes-vivantes des alentours. Hel'kalna l'avait vu venir de loin et demanda l'aide de Ta'ka pour éliminer l'intrus pendant que Wa'dip et Sala'jin faisaient de leur mieux pour tirer Ojanka du bourbier.  

Parvenant finalement à la sortir de là, le groupe déguerpit en vitesse, ne ralentissant que lorsque Ojanka les mena vers des hauteurs : ils avaient atteint la frontière naturelle qui les séparaient des Maleterres : la chaine de montagnes thalasienne. A l'abri en retrait, le groupe prit du repos et laissa Ojanka s’absenter du délai convenu, avant de se remettre en route.

Le groupe de trolls longea la forêt à flanc de montagne pour avoir une bonne vue de potentiels ennemis, et s'en tenir éloignés, puis rattrapa la route pavée qui conduisait à la passe thalasienne, véritable goulet d'étranglement et seul vallon aisément praticable pour rallier le reste du continent.

Ils constatèrent en chemin de récentes traces de combat et des carcasses de morts-vivants, avant d'être eux-mêmes pris en tenaille par deux gargouilles charognardes, un molosse mort-vivant décharné et des zombis vagabonds. La situation devint rapidement difficile à gérer quand surgit un troll errant, lui-même blessé, pour les aider. Créant une ouverture, le groupe prit ses jambes à son coup et parvint à un bâtiment abandonné où se réfugier, après que le troll inconnu et Sala'jin aient abaissé la herse encore utilisable.


L'inconnu s'avéra être Zul'Bratac, un troll de la tribu Fongeroche rencontrée par les Héritiers durant leur séjour à Zandalar. Sala'jin et Ta'ka d'abord surpris, se réjouirent de sa présence, et puisque leurs objectifs de recherches concordaient, et pour des questions de survie en renforçant le groupe d'une paire de solides bras supplémentaires, il fut décidé que Bratac les accompagnerait.

Se trouvant un coin pour se reposer à l'abri, au milieu des décombres, improvisant un lit pour les blessés dans une vieille charrette et organisant des tours de garde pour la nuit, les trolls prirent du repos et attendirent que leurs corps régénèrent.

Les voilà tous endormis. Profitant d’un sommeil réparateur après la marche éreintante dans les terres fantômes. Cette région porte bien son nom, plus que ceux qui m’accompagnent pourraient le croire. Du haut de notre campement, j’observe la cime des arbres corrompus par la magie de mort qui empoisonne les environs. Je les vois encore... ces âmes qui volent à travers les feuilles. Je ne peux plus me défaire de cette sensation, l’impression de faire plus partie du royaume des morts que de celui des vivants. Je regarde par dessus mon épaule le groupe de trolls endormis, disparaissant presque dans un voile gris alors qu’un frisson glacé dresse les poils de ma fourrure grisonnante. La nuit se fait plus sombre, plus froide, plus pesante. Je sens sa présence, toute proche, il revient. Je frictionne mes épaules, chassant le froid et la peur qui me fait trembloter. Je ferme les yeux et me crispe en entendant son grognement rauque au dessus de mon épaule.

« Likou... Tu cherches à me fuir ? C’est impossible. Tu le sais. Tu es à moi.»

Je garde le silence, poussant un gémissement craintif pour dissimuler un cri d’effroi.

« Ou alors c’est lui que tu fuis ? Tu as peur qu’il te retrouve ? Qu’il te fasse payer ? Tu te cherches des excuses. Persuadée que tu n’avais pas le choix... »

Poursuis la présence écrasante en haussant le ton. Un souffle glacial pénètre ma poitrine, coupant mon souffle et enserrant mon coeur dont les palpitations se font plus lentes.

« Tu te mens. Tu as choisis de le faire, de faire appel à moi, à mes pouvoirs. Tu as commis l’impardonnable selon beaucoup des tiens. »

Je sens ma vie me quitter, mes forces m’abandonner. Je peux voir, du coin de l’oeil, les esprits assoiffés de violence s’approcher pour déchiqueter mon âme sur le point de faillir tout en gardant leurs distances avec mon persécuteur.

« Tu connais le coût de ton acte. Ta vie m’appartient. Mais je ne veux pas la prendre, pas tout de suite. Tu m’es encore utile. »

La pression sur ma poitrine se relâche, me permettant de respirer à nouveau. Je happe l’air comme un poisson sorti de l’eau alors que mon coeur rattrape ses pulsations perdus en soulevant mon torse et manquant de briser mes côtes. Je tombe à genoux tandis que ma vision se trouble et que mes oreilles bourdonnent. Pourtant la voix sombre et menaçante est toujours aussi claire, résonnant dans mon crâne douloureux.

« Et comme je ne veux pas te priver de ta vie, je vais continuer de te priver de ton sommeil. »

La présence disparaît, aussi rapidement qu’elle était apparut. J’entends à nouveau le bruissement des arbres, les cris des bêtes nocturnes et les ronflements des trolls endormis.

Je me redresse après de longues minutes, dardant à nouveau mon regard épuisé sur les bois sombres, distinguant toujours le voile fin qui sépare nos deux mondes.

Le lendemain, après que chacun ait pu reprendre quelques forces dans l’abri relatif de l’ancienne bâtisse elfique à l’abandon, le groupe s’assura que leurs poursuivants avaient déguerpis. Sans doute avaient-ils été attirés par une autre cible, les ayant détournés d’eux. Peut-être un animal ou une patrouille de forestiers sin’dorei sur la route principale.

Tout en vérifiant que les plaies n’aient pas pris une apparence inquiétante et qu’ils cicatrisaient normalement, Zul’Bratac et les Héritiers discutèrent à propos de ce qui les avait mutuellement amenés dans un endroit aussi sinistre et dangereux. L’on évoqua le souci des provisions et des réserves d’eau, le plan de voyage prévu et la difficulté d’approcher des tribus trolles sur leur territoire, même quand on était un troll, et même quand on avait de bonnes intentions.


En dépit de ces préoccupations, le groupe se remit ensuite en ordre de marche vers les Maleterres. Bien que les forêts des terres fantômes furent inhospitalières, rien ne pouvait préparer les trolls au spectacle terrifiant et nauséabond de la région souillée. Partout où les regards se posaient, des sapins maronnasses rachitiques se disputaient le peu de vie du sol à d’autres arbres chargés d’excroissances purulentes, dont l’écorche craquelée laissait suinter des liquides poisseux écœurants.

A la place des piaillements des oiseaux et des cris des animaux ordinaires des bois et des plaines, on ne percevait que les râles rauques et suppliants de créatures mortes-vivantes dans le lointain, entrecoupés parfois du souffle éthéré du vent, portant les lamentations des spectres invisibles alentours.

La route heureusement était visible et praticable, sinuant au milieu des étendues de terre désespérément mornes parsemées d’herbes sèches, comme brûlées par un éternel soleil d’été mortel, pourtant absent. Sur le trajet, le groupe porta secours à une voyageuse isolée, tombée à terre, qui s’avéra être une trollesse nommée Zin'je.

Il fallait cependant rallier l’un des avant-postes dont Ta’ka avait parlé, des positions fortes, protégées par un regroupement de divers peuples œuvrant ensemble à l’éradication du Fléau : les « argentés ». Après plusieurs heures de marche, les trolls finirent enfin par apercevoir une tour blanche se détachant au sommet d’une petite colline, et les panaches d’une épaisse fumée noire provenant d’un immense brasier incinérateur en contrebas.


Le groupe s’avança dans cette direction et aperçut de loin des factionnaires en armure claire, gardant les lieux. Il sembla de prime abord qu’il s’agissait de deux humains, ce qui allait rendre difficile la conversation, mais en s’approchant d'un peu plus près il s’avéra que l’un des deux humains était en réalité une orque. Ta’ka et Wa’dip saluèrent et parlèrent au nom du groupe, en répondant aux questions suspicieuses quant à la raison de leur présence. Ils finirent par convaincre les gardiens de les laisser passer et furent conduits devant la tente de commandement du capitaine Ormak Gerrupierre.


L'officier orc leva la tête des rapports et registres de fournitures et provisions pour rencontrer Wa'dip, Ta'ka et Sala'jin pendant que les autres trolls restaient en retrait, à l'écart des races de peaux-roses occupant les lieux. Ils apprirent qu'une récente résurgence de morts-vivants et du culte des damnés rendaient les opérations difficiles depuis quelques temps dans la zone et donnaient beaucoup de travail à la Croisade d'argent.

Et la présence d'anciens loyalistes de Sylvanas se cachant ou complotant pour saboter et ralentir leurs efforts n'était qu'une épine de plus dans leur pied. Ta'ka voulut en savoir plus sur la présence de ces parjures de la Horde, mais l'orc refusa tout net d'en dire plus, les informations sensibles étant classées secret-défense.

Lorsqu'ils demandèrent au capitaine Gerrupierre où ils pourraient trouver des trolls dans la région, ce dernier les renvoya vers les postes du Sud des Maleterres. D'après les rapports reçus il y avait effectivement là-bas une activité trolle. Mais pas n'importe quels trolls, des trolls morts-vivants. Et pas n'importe quels trolls morts-vivants, des trolls morts-vivants voleurs ! Etait-ce les Ecorchemousses dont avait entendu parler Sala'jin ? Leur intérêt fit germer une idée dans l'esprit de l'officier, et il leur indiqua le chemin à suivre pour rallier les avants-postes du Sud : là-bas ils pourraient obtenir plus de renseignements sur ces activités suspectes et aider ses confrères argentés à éventuellement résoudre ce problème de trolls. Après tout, qui de mieux placer qu'un troll pour comprendre les intentions d'un autre troll, quand bien même il soit mort-vivant ?


Le capitaine les congédia rapidement pour se remettre à ses tâches d'inventaire avec l'aide de son intendante humaine, la charmante mademoiselle Casey Culbute. Le groupe fut autorisé à faire halte à cette tour du col du Nord (tant qu'ils ne perturbaient pas le travail des membres de la Croisade d'argent!) avant de reprendre le chemin afin de tirer cette histoire de trolls morts-vivants au clair.

Le lendemain, le groupe se remit en marche, en direction du Sud suivant les indications données la veille. Il fallait suivre la route dégagée qui reliée différentes tours de guet, protégées par la Croisade d'Argent à travers la région. Elles servaient aussi de point de ravitaillement et de base d'opération.

Les trolls avancèrent avec prudence mais à bonne allure. Il leur avait été bien spécifié de ne pas s'écarter de cette voie balisée, sur laquelle circulaient régulièrement des patrouilles et convois et qui était donc plutôt dégagée de toute population morte-vivante.

Il leur fallut passer un premier pont en bois au-dessus d'une rivière d'eau plus ou moins stagnante dans laquelle aucun d'entre eux n'avait envie de tomber. Malgré l'âge visible de l'ouvrage, les trolls reconnurent rapidement qu'il était bien entretenu et ne risquait pas de s'effondrer sur leur passage. Ces "Argentés" faisaient du bon travail et rendaient leur périple moins difficile !

Le second pont était quant à lui plus imposant et tout en pierres blanches se détachant distinctement au milieu des plaines et vallons roussis.


Suivant docilement la route pavée, les trolls restèrent sur leurs gardes mais ne firent pas de rencontre déplaisante. Quand ils arrivèrent à un croisement, ils prirent le temps de se repérer et avisèrent un peu plus loin sur l'un des embranchements des panneaux qui, qu'importe les barrières de la langue, étaient explicites : danger de mort, ne pas avancer. Ils optèrent donc pour poursuivre sur l'autre côté quand bien même cela semblait faire un détour et rallongeait leur trajet.


Une nouvelle tour de garde fut rapidement en vue, protégée de palissades. Wa'dip put s'y adresser à des factionnaires argentés, en mentionnant le nom du Capitaine Gerrupierre qui les envoyait pour aider à traiter le problème local de trolls morts-vivants. Le capitaine en charge de cette tour était absent, menant une expédition de nettoyage avec ses troupes, aussi la conversation fut-elle brève. Une peau-rose lui expliqua qu'ils n'étaient pas encore arrivés à destination mais ils étaient dans la bonne direction. Il fallait pousser plus loin vers l'ouest pour atteindre la tour où les rapports émis faisaient mention de ces étranges "pilleurs" trolls.

Sala'jin voulut se renseigner à propos des panneaux placardés sur l'une des routes : il s'agissait de mise en garde qu'il fallait absolument éviter les lieux. En effet, avec la récente résurgence d'activité de sectateurs du Culte des damnés et du Fléau, les anciens bourgs et villages étaient des endroits à éviter à tout prix, véritables nids à morts-vivants. La Croisade d'argent menait des opérations d'épuration mais l'interlocutrice ne cacha pas que la situation était tendue. D'une part cette fois-ci les Croisés argentés ne disposaient plus du soutien de leurs alliés de la Lame-d'ébène, qui les aidaient autrefois à traquer les cultismes, nécromants et autres abominations, et qui avaient quittés les Maleterres pour mener le combat ailleurs. D'autre part la Croisade d'argent était en sous-effectifs car les nombreux enrôlés qui l'avaient rejoint lors de la dernière invasion de la Légion Ardente avaient rendu leurs insignes et leur neutralité pour s'engager auprès de la Horde ou de l'Alliance au cours de la Quatrième Grande Guerre en Azeroth.

Selon ses dires, ils ne restaient plus dans leurs rangs que les plus déterminés à sauver les Maleterres, c'est-à-dire les plus anciens, ceux qui étaient là depuis la fondation de leur ordre... et qui avaient survécu jusqu'à ce jour. Autrement dit, peu de monde. Les trolls comprirent mieux pourquoi le Capitaine Gerrupierre avait sauté sur l'occasion de les envoyer auprès de ses collègues : toutes les bonnes volontés pour aider à juguler le problème mort-vivant étaient bienvenues, même s'il ne s'agissait que de résoudre localement un problème de trolls morts-vivants. Ce serait toujours une épine de moins dans le pied de la Croisade.

Pour en apprendre plus sur ces fameux trolls morts-vivants il fallait toutefois s'adresser à ceux qui les avaient vus - ou aperçus - et le groupe poursuivit donc son chemin.


Avalant les kilomètres qui les séparaient encore de leur objectif, le groupe progressa d'une bonne cadence en restant vigilant et en papotant de ce qui les préoccupait. Toutefois ils furent interrompus quand Sala'jin repéra quelque chose d'indistinct en travers du chemin. Il fit signe à chacun de s'arrêter. En effet, il y avait là des silhouettes. Difficile de savoir exactement leur nature. Elles allaient et venaient sur le sentier, apparaissant et disparaissant comme des souffles éthérés irisés et informes. S'agissait-il d'ennemis au service du Fléau ? Pouvaient-elles voir les vivants ? Comment réagiraient-elles s'ils approchaient ?

Le groupe ne voulut pas prendre le risque d'obtenir ces réponses et préféra ne pas les déranger. Malgré la présence de parle-esprit parmi eux, qui sait si des spectres humains ou nains seraient réceptifs aux paroles de trolls ?


Contournant cette zone en s'avançant dans les forêts et anciens champs, le groupe quitta la route. Ils prirent de bonnes distances avant d'amorcer un retour vers la route malgré la vue obstruée par un bosquet d'arbres. C'est alors qu'ils passaient sous un gros chêne décrépi qu'une nuée de chauve-souris s'envola et surgit sur les voyageurs pour les attaquer. Sala'jin se protégea de l'assaut derrière son bouclier, tandis que Bratac transperça une assaillante d'un coup de lance. Mais Ojanka dût se jeter à terre en sautant d'Ur'zoa in extremis pour éviter un des chiroptères enragés et s'en tira avec une égratignure au bras. Wa'dip n'eut pas le temps de se mettre à couvert qu'un des animaux se jeta sur lui avec une vitesse surprenante. Plantant ses crocs dans un piquet direct sur le poitrail nu, la créature y resta fixée à dévorer le sang du troll.

Malgré la pagaille des chauve-souris pestiférées, excitées par le sang d'Ojanka et Wa'dip, Bratac parvint à atteindre Wa'dip, Sala'jin couvrant le blessé des attaques pernicieuses. Ojanka se saisit de ses haches et tenta de repousser les animaux volants effrénés pour donner du temps à Bratac et Sala'jin de déloger la créature et s'occuper de Wa'dip.

Les deux trolls prirent le temps de se coordonner pour ne pas aggraver la situation pour Wa'dip. Mais Ojanka commençait à faiblir bien qu'elle élimina plusieurs spécimens, il en venait toujours d'autres et l'essaim de chauve-souris trop appâtées ne lâchait pas l'affaire, s'éloignant uniquement pour mieux revenir à l'assaut en voyant une opportunité à droite ou à gauche.


Après que Wa'dip fut séparé de la chauve-souris immobilisée puis décapitée, les trolls hissèrent Wa'dip sur Ur'zoa, Ojanka derrière lui pour le tenir en place et ils prirent leurs jambes à leur cou. Ils fuirent tout droit sans trop chercher à voir où ils allaient mais alors que les chauve-souris abandonnaient la poursuite, les trolls virent leur salut : la tour était non loin.

Le groupe put s'expliquer avec les factionnaires en poste et Wa'dip fut pris en charge pour être soigné correctement et traité contre la pestilence grâce au baume appliqué par Sala'jin et gardé sous surveillance par des croisés.

Le temps que Wa'dip régénère le sang perdu, les autres utilisèrent les jours suivants pour faire le point et enfin interroger les membres de la Croisade d'argent à la tour de garde de la couronne concernant ces histoires de trolls morts-vivants dont ils avaient entendu parler.

Un orc des services de ravitaillement leur expliqua d'abord qu'il y avait en effet eu des rapports de patrouilles indiquant avoir aperçu des trolls, très probablement morts-vivants, au milieu des autres zombis de la région. Une caravane d'approvisionnement conduite depuis les Maleterres de l'ouest avait même été attaquée et les livreurs ainsi que l'escorte de soldats avaient disparu. Bien qu'il ne restât aucun témoin, les traces laissées étaient caractéristiques.

Mais des trolls avaient été aperçus à roder près des villages et fermes de la zone. Le secteur autour de cette tour de garde était anciennement de vastes champs et pâturages, avec quelques hameaux et bourgs éparses, isolés. Il valait mieux les éviter car avec la récente résurgence d'activité morte-vivante et cultiste ces endroits étaient de potentielles caches. D'autant que des petits cimetières de taille modeste étaient érigés à leurs abords pour les anciens paysans qui n'avaient pas de quoi s'offrir un enterrement dans les riches chapelles et églises citadines du royaume de Lordaeron.

Le jour suivant, Ta'ka, Sala'jin et Ojanka apprirent qu'une patrouille de factionnaires d'argent avait été attaquée près d'un cimetière d'une de ces ruines rurales, en tentant de faire fuir des morts-vivants qui semblaient bien être ces fameux trolls pilleurs mentionnés précédemment.


Le trio décida d'aller voir sur place s'il pouvait trouver des indices sur la raison pour laquelle ces trolls seraient des morts-vivants et ce qu'ils trafiquaient. Ils se rendirent dans la direction indiquée pour rallier l'ancienne exploitation agricole. Sala'jin s'y engagea pour une rapide inspection, afin de vérifier que personne n'ait campé ou se soit caché entre les décombres en bois - toujours pas convaincu que les pilleurs de tombes puissent bel et bien être des trolls, et encore moins des trolls morts-vivants - avant de se diriger vers l'humble cimetière humain en marge du lopin de terre abandonné.

Le trio inspecta les lieux. Il y avait effectivement des traces de passage, Sala'jin repéra des empreintes de pieds trolls dans le sol meuble. Peut-être quatre, cinq ou six individus. Ils s'étaient affairés autour de plusieurs sépultures dont des amas de terre s'étaient accumulés à mesure que des espaces avaient été creusés et vidés de leurs occupants. Mais ils avaient été interrompus et l'une des tombes n'avait pas été complètement dégagée. Des traces de combat laissaient entendre que certains trolls avaient couvert la retraite des autres en repoussant la patrouille de croisés. Une pelle abandonnée dans la fuite ne semblait pas de facture trolle, mais humaine.

Ta'ka avisa qu'en bordure du petit cimetière, des herbes sèches couchées et la terre enfoncée faisait comme un sillon rectiligne qui partait vers le sud-ouest de leur position. S'agissait-il d'une sorte de "traineau" ? D'une planche ayant servi à poser et trainer les cadavres ? Il était en tout cas plus facile à repérer que des traces de pas dans la terre sèche.


Le trio remonta la piste qui sillonnait à travers les prés, collines et bosquets, jusqu'à un passage escarpé rocailleux. Sur les cailloux, la trace devenait plus difficile à suivre.

Cependant le groupe aperçut de l'autre côté d'une route un espace grillagé au creux d'un vallon d'arbres maladifs. Ta'ka proposa de faire un repérage en hauteur dans sa forme de chiroptère. La trollesse ne survola pas la zone, et resta à distance mais prit uniquement de l'altitude. Elle repéra ainsi de loin une douzaine de silhouettes bipèdes plus ou moins épaisses, rassemblées dans les alentours de ce qui semblait être une bâtisse en pierre.

La trollesse retourna vers le sol pour confier ce qu'elle avait pu discerner à Sala'jin et Ojanka quand un javelot sortit du couvert d'un arbre roussi pour se ficher dans l'aile de la chauve-souris et la clouer à terre. Sala'jin réagit instinctivement pour s'interposer entre la changeforme et la provenance du projectile, bouclier levé, prêt à encaisser le reste. Un troll fonça sur lui en quelques mètres, hache levée pour découper ces intrus.


Ojanka se précipita sur Ta'ka pour saisir à pleines mains la hampe de la lance et la déloger de l'aile membraneuse blessée. Sala'jin devait se protéger des flèches et d'une autre lance derrière son bouclier, ce qui ne lui laissait que peu d'opportunité de répliquer. Contraint d'assurer seul la ligne de défense tandis qu'une trollesse aidait l'autre, le Gurubashi se prit une puissante attaque, qui déchira son plastron et lui perfora le ventre. Titubant sur le coup, il parvint avec rage à repousser son agresseur. Il entendit clairement le troll pas-mort nauséabond en face de lui communiquer en zandali avec ses acolytes restés en retrait sous le couvert des arbres putrescent : "Ze'bu ! Attention, recule !" - "Non ! Faut pas les laisser s'échapper !"

Dès que Ta'ka fut libérée, le trio se rabattit à toutes jambes sur le chemin d'où ils venaient, cherchant à mettre le plus de distance entre eux et leurs adversaires. Sala'jin était salement blessé et ralentissait mais son épaisse armure amortit une fois de plus les flèches lancées par leurs poursuivants. Finalement les morts-vivants battirent en retraite, ayant parvenu à chasser les intrus et n'étant pas assez rapides pour les rattraper.

Sala'jin, Ta'ka et Ojanka retrouvèrent le chemin de la tour, mais le plastron de l'armure de Sala'jin était grandement endommagée. Le troll avait aussi besoin de temps pour se régénérer. Le trio avait de quoi s'interroger sur ces trolls, qui étaient à en juger par l'odeur et l'apparence, plus proches de la mort que de la vie, mais qui contrairement aux goules, avaient visiblement conservé les capacités de parole et de pensée.

Sala'jin, Ta'ka et Ojanka racontèrent aux autres ce qu'ils avaient vu... et entendu. Des trolls visuellement, physiquement, odoriférant morts-vivants. Cependant s'exprimant, non pas avec des râles et borborygmes incompréhensibles, mais avec des mots formant des phrases. Paradoxal pour certains comme Sala'jin, Ojanka et Bratac. Moins surprenant pour d'autres, comme Ta'ka et Wa'dip, trolls sombrelances plus coutumiers de l'existence des Réprouvés.

Si ces trolls morts-vivants étaient conscients et pouvaient s'exprimer, ils pouvaient dire d'où ils venaient, qui ils étaient. Mais comment aboutir à un dialogue alors que la précédente "rencontre" s'était soldée sur un empalement longue distance et une quasi éviscération ? Ta'ka avait observé au moins une douzaine de silhouettes à distance. Leurs "interlocuteurs" étaient donc en large supériorité numérique.

Bratac proposa néanmoins une seconde excursion, menée sous un angle différent. Il expliqua et fit démonstration au groupe de sa capacité de parle-esprit. Il pouvait détacher son esprit pour enquêter et trouver des informations sur place, mais en marchant à travers le monde intangible, tandis que son corps matériel resterait en retrait, vulnérable, immobile, dans le monde physique, sous bonne garde des autres membres du groupe.

Cette capacité avait toutefois une "portée" limitée. Plus Bratac sous forme d'esprit s'éloigne de son corps physique, plus il s'enfonce dans les brumes de l'inconsistance et risque de se perdre au milieu du rien et ne jamais retrouver son chemin en sens inverse. Impossible donc de traverser des kilomètres et des kilomètres loin de son point d'encrage.  


Il faudrait si possible un endroit avec une vue sur la cible. Ainsi qu'un troll capable de le rappeler à son corps en cas d'urgence. Wa'dip fut désigné d'office par Ojanka : ce n'était pas un combattant, mais un bon parle-loa, ayant connaissance des potions et des rituels, qui saurait appliquer les bons gestes et les bonnes paroles. Cela laisserait Ta'ka, Sala'jin et Ojanka libres pour surveiller les alentours et tuer tout ce qui tenterait d'approcher.

Les trolls quittèrent la tour pour retourner au-delà des collines et anciens pâturages, vers l'endroit où se terraient les morts-vivants. Trouver un bon endroit fut plus difficile. Ils avisèrent une vieille masure décrépie au sommet d'une petite butte qui pourrait offrir une bonne cachette. S'en approchant comme il n'y avait rien trainant alentour, Sala'jin préféra ne pas avoir de mauvaise surprise dans un recoin : le Gurubashi balança une pierre sur la façade en bois. « Tenez vous prêts ! »

La réponse ne se fit pas attendre ! Des glapissements, grincements et grognements émanèrent de la maison abandonnée, rapidement suivis des hôtes : une goule humaine et deux molosses putrescents. Le groupe fit face à l'assaut, Ta'ka, Bratac et Sala'jin formant la première ligne tandis qu'Ojanka resta à protéger Wa'dip d'une potentielle survenue arrière que les aboiements enragés et cris stridents de la goule pouvait attirer.

Malgré un début de combat hésitant, le temps que les combattants s'habituent à l'absence de recul et de douleur des cibles sous leurs coups, ainsi qu'à leur férocité surnaturelle dissimulée par une apparence chétive décharnée, le trio de trolls vint à bout des créatures. Ta'ka cependant, ayant adoptée par instinct sa forme animale, eut la mauvaise idée de venir en aide à Bratac en difficulté face à un canidé mort-vivant en se refermant ses crocs sur la nuque de la bête pestiférée, mordant dans la chair putride maladive. La changeforme regretta aussitôt son geste et passa ensuite plusieurs minutes à vomir et frémir, affaiblie.


Après avoir été inspectée et aidée, la Sombrelance put se remettre en état de marche. Et il fallait en effet bouger, car Bratac était catégorique, l'endroit était certes en hauteur mais un bosquet d'arbres dissimulait de l'autre côté d'un vallon, le lieu visé. Et la distance à franchir paraissait un peu trop grande.

Revenant sur leurs pas, le groupe finit par se décider pour une cachette derrière un tertre surmonté de quelques arbres altérés mais touffus, qui les abriteraient des regards indésirables. Bratac échangea avec Wa'dip les instructions précises concernant le rappel d'urgence de son âme dans son corps, puis s'allongea au sol. Il semblait s'être endormi, mais son esprit s'élançait déjà à travers le brouillard de l'entre-deux-mondes.


Bratac laissa son corps entre les mains de ses compagnons, et suivit en ligne droite la direction indiquée par Sala'jin, Ta'ka et Ojanka, évoluant au milieu des ombres grises, jusqu'à ce que ses yeux discernent une sorte de petit jardin grillagé encadrant une maison en pierre, visiblement d'esthétique humaine. Des silhouettes ombreuses indistinctes : les spectres des trolls morts-vivants encore rattachés au monde physique.

Se laissant flotter, à l'écoute, sans pour autant trop s'en approcher, il remarqua que l'état de vibration et de puissance de leurs âmes était très variable. Certaines étaient encore vivaces, et les échos de leurs voix discutant en petits groupes lui parvinrent.

« - ... que ça dure.
- Ça fait des mois... et on est toujours là. On doit continuer à se battre.
- Toi, moi, Maalik, ouai on tient... A peu près. Mais regarde Ze'bu... ou Soval. Ils sont pas beaux à voir.
- T'as pas vu ta trogne ! »

Le rire n'avait rien de joyeux. Plus loin, Bratac remarqua une âme qui était presque imperceptible, presque éteinte. Intrigué, il entendit un troll avachi au sol, les doigts grattant la terre et répétant inlassablement d'un ton monocorde « Pas manger... pas manger... pas manger... » Son âme semblait brisée et son aura discordante.


Mais l'écho d'une autre conversation à travers les brumes retint son attention et il s'approcha discrètement du bâtiment en pierre :
« -... de la prochaine sortie. Parait que Vorzaket est justement en bas, en train de discuter avec le chef.
- J'espère que ça ira vite. Rester ici à rien faire me rend fou... Il faut s'occuper les mains et la tête. »

Entendant ça, Bratac se glissa vers l'accès qui s'enfonçait sous terre au bout d'un escalier sombre. Il ne distinguait plus rien d'autre que l'horizon grillagé mais il lui fallait jeter un oeil pour en apprendre plus. Dans le souterrain, il perçut la présence de deux âmes... et deux voix, en train de parler en zandali. Restant tapis à l'affut, Bratac n'en perdit pas une miette.


L'un des trolls était au fond, dans une alcôve, sa présence, son aura, son âme semblait puissante, écrasante... menaçante. L'autre, vive mais plus humble, était un peu reculée et s'exprimer au premier avec déférence.

« -... pense que Maalik peut mener ce groupe-là. Il est capable encore de raisonner. Il pourra guider et mener quelques uns, même parmi ceux d'entre nous les moins "chanceux", ça lui fera toujours quelques paires de bras supplémentaires pour l'aider.
- Ce village que nous avons repéré, isolé au creux d'un vallon vers l'Est ne devrait pas poser de difficulté. Il faut se dépêcher, le temps il est compté.
- La femme va revenir et en échange des corps humains, elle nous aidera à nouveau à maintenir nos forces.
- Les secrets de sa magie, tu dois les percer complètement !
- Je le sais, j'apprends et bientôt je trouverai le moyen de franchir la barrière. Mais en attendant, on doit être plus prudents. Non seulement avec les soldats blancs d'argent, mais aussi avec d'autres. Ils t'ont parlé de l'autre jour ? Des intrus trolls nous ont pisté.
- Tu penses que c'est Thores'jin qui les envoie pour nous éliminer ? »

Le poing massif du troll colossal servant de chef s'abattit contre un mur de pierre, faisant trembler les fondations de la catacombe. La force de la rage avivant l'âme du troll était telle que Bratac ressentit la pulsation jusque dans le monde intangible.


« - Ce traitre de Thores'jin ! Si seulement j'avais pu... S'il n'avait pas... NON ! Nous devons tenir bon. TOUS ! Nous obtiendrons vengeance Vorzaket !
- Nous tiendrons Raeldaz. Tous ici, ils t'ont suivi, et continuent de te suivre. Ils comptent sur toi. Je vais avertir Maalik de faire les préparatifs. »

Bratac fit demi-tour et remonta les escaliers. Il vit la silhouette informe du dénommé Vorzaket s'avancer vers les formes diffuses en interpellant le groupe de trolls que Bratac avait écouté en arrivant. Mais Bratac s'était arrêté non loin de l'âme brisée qu'il avait remarqué plus tôt. Elle continuait à répéter anxieusement « pas manger... pas manger... pas manger... »
Le Fongeroche eut de la pitié. S'accroupissant devant le mort-vivant qui ne pouvait pas le voir, il brandit sa main et fit les gestes rituels pour apaiser son âme.

Concentré, Bratac ne remarqua pas que sa présence et son rituel n'était pas passé entièrement inaperçu. Une ombre noire comme la nuit se détacha du contour éthéré du bâtiment dont il était ressorti. Lente mais fixement dirigée vers lui, silencieuse et flottant comme un nuage ténébreux, elle approchait dans son dos.

Bratac acheva d'apaiser le petit brin d'existence pulsatile émanant du troll amorphe, dont l'âme se concentra au sommet du crâne en retrouvant une vibration plus harmonieuse quoique toujours ténue, avant de s'en échapper et s'élever vers les cieux et disparaitre.

Le Fongeroche eut une vague de soulagement... avant de subir un froid glacial qui l'étreignit tout à coup par surprise et l'immobilisa. La sombre forme obscure l'avait atteint et deux bras avides s'étaient refermés sur l'image spirituelle de Bratac, le saisissant aussi réellement et surement que s'il s'était agi d'un serpent constricteur.

Le contact de la chose immatérielle était glaçant, effrayant et... affaiblissant. Aspirant avec convoitise l'énergie de l'esprit de Bratac, celui-ci sentit qu'il perdait conscience, consistance. Il allait tomber dans les bras de la mort et rejoindre le troll qu'il venait tout juste de délivrer du tourment.


De l'autre côté des mondes, Wa'dip venait d'utiliser beaucoup d'énergie à distraire un zombi errant que Sala'jin avait aperçu. Pour éviter de l'attirer sur leur position, voyant que la créature morte-vivante ne les avait pas repérée et se contenter d'avancer au hasard, hagarde, Wa'dip s'était proposé d'user de sa magie fongique pour faire pousser un chemin de champignon du côté opposé. Il lui fallut beaucoup de concentration pour parvenir à faire croître quelques bolets sortant de la terre stérile et dépravée de la région. Ils s'épanouissant suffisamment pour attirer l'attention du zombi, et éclore l'un après l'autre, un peu plus loin à chacun de ses pas, pour lui faire prendre un chemin qui éloigna complètement la menace.

S'apercevant que le corps de Bratac avait une respiration et un rythme cardiaque très accéléré et était pris de légères convulsions, le fongimancien n'hésita pas et utilisa les objets et formules pour rappeler son âme de force dans son corps quitte à ce que le retour soit douloureux ou perturbant pour celle-ci.

Bratac sursauta et revint soudainement à lui, le souffle court et l'esprit confus, mais sauvé in extremis.

Une fois rentrés à la tour de la garde de la couronne, Bratac eut besoin de repos. Quelques jours après, son esprit était stabilisé et il put raconter ce qu'il avait vu et répondre aux nombreuses questions de ses compagnons de route, impatients d'avoir le fin mot de l'histoire.

Le troll Fongeroche expliqua l'état de dégénérescence des trolls qu'il avait pu percevoir, leur pacte avec "une femme" qui les aidait à limiter la dégradation de leurs corps en échange de service, leur projet de détruire une barrière - sans doute la tour et les Argentés - avec un plan qui consistait à diviser l'assaut en deux. Une force de plusieurs trolls se sépareraient alors, pour occuper un village proche, en vue d'assiéger la tour ou de détourner l'attention des Argentés. Quant au chef de cette bande de trolls décadents, c'était un gros morceau qu'il valait mieux ne pas sous-estimer.

Bratac omit et éluda en revanche dans son récit la raison qui avait nécessité que Wa'dip provoque son rappel d'urgence dans son corps. Il tut son geste envers l'un des trolls brisés envoyé de l'Autre côté, et l'ombre assaillante qui l'avait pris par surprise. Mais il donna son avis clair sur la situation, d'après ce qu'il avait vu : il fallait neutraliser tous ces trolls nuisibles, dépravés de leur nature originelle, et les remettre aux mains des loas en libérant leurs âmes de leur prison charnelle décomposée.

Les trolls débâtirent sur ce qu'il convenait de faire et comment s'y prendre. Avec de telles informations sur une attaque imminente, il semblait impossible de garder leurs hôtes argentés dans l'ignorance. Mais les avertir et leur donner la localisation de ces trolls morts-vivants et leur chef signifierait certainement leur anéantissement, et avec eux la perte de toute piste concernant l'approche de Zul'Mashar.

En outre, il restait des zones d'ombre. Il était possible que cette inconnue qui avait été mentionné, et qui demandait aux trolls morts-vivants de prélever des corps - frais ou froids - depuis quelques temps, soit celle qui tire les ficelles. Elle les obligeait peut-être à ces actes en échange de son "aide". Si l'on pouvait la tenir à l'écart ou la neutraliser, peut-être serait-il possible de les ramener à la raison et de les aider autrement ? Mais ils n'avaient aucune information concrète sur cette personne, son nom, où elle était, quand et comment l'approcher.

Wa'dip ne voulait pas juger par avance. Certes le récit de Bratac était inquiétant, mais certaines informations manquaient et il était impossible pour le moment de dire si les intentions de cette personne étaient bonnes ou mauvaises. De même pour les trolls non-morts rassemblés autour de ce Raeldaz et ce Vorzaket. De mauvaises décisions n'étaient pas nécessairement prises avec de mauvaises intentions. Et parfois de bonnes intentions menaient à de mauvaises directions. Wa'dip préférait leur laisser le bénéfice du doute en attendant d'en savoir plus.

Quoi que les autres ressentent sur ce point, il n'était pas possible d'attendre trop longtemps, il fallait se décider rapidement. Sala'jin proposa de profiter du départ et de l'absence d'une partie des trolls morts-vivants vers ce village-cible pour s'introduire dans l'endroit que Bratac avait visité dans le monde des esprits et essayer de trouver sur place des indices. Mais Ta'ka n'était pas d'accord : on ignorait combien exactement partaient et combien exactement restaient sur place. Même en admettant qu'ils soient en équilibre numérique, Bratac avait décrit Raeldaz comme un troll redoutable à ne pas prendre à la légère. De plus, qu'arriverait-il si pour une raison ou une autre, le groupe de morts-vivants parti faisait demi-tour et revenait ? Le risque était trop grand.

Tous finirent par s'accorder avec frustration sur le fait qu'ils ne pouvaient se charger des trolls morts-vivants par eux-mêmes. Ta'ka proposa d'aller parler aux Argentés pour les prévenir de la menace. En discutant avec les autres, il fut convenu de ne dévoiler aux Argentés que la partie sur le village que les trolls morts-vivants envisageaient de trouver et d'occuper, en vue de préparer un mauvais coup. Si les soldats de la Croisade d'Argent pouvait écraser cette opération-là dans l'oeuf, en prenant cette partie de trolls morts-vivants de revers, le reste des trolls menés par Raeldaz n'oserait peut-être plus tenter quoi que ce soit car ils ne seraient plus aussi nombreux.


Ta'ka ayant quelques bribes de connaissance de la langue des peaux-roses, elle fut chargée d'expliquer tout ceci lors d'une entrevue avec le chef des Argentés de cette tour, épaulée de Bratac à qui elle retransmettait les questions et demande de détails formulées par leur interlocuteur en vue de préparer l'opération de "nettoyage". Ce dernier se félicita par ailleurs que la coopération avec le groupe des Héritiers fasse avancer cette enquête et porte ses fruits. Après tout, ils bénéficiaient tous de la protection des Argentés depuis plusieurs jours sans autre contrepartie que d'aider à dénicher ces trolls morts-vivants pilleurs.

Avec les informations données, le capitaine déduisit que le village ciblé par les trolls morts-vivants était vraisemblablement Fondfroide, guère plus qu'un hameau. La zone avait précédemment était nettoyée d'un ancien "nid" de morts-vivants en maraude, et était niché au creux d'une petite vallée qui le dissimulait bien, à quelques heures de marche au sud de la tour. Ta'ka voulut proposer de les accompagner sur place, en tant qu'ancienne soldat habituée au terrain et travail en groupe, mais le capitaine fut formel : la Sombrelance n'était pas formée aux tactiques argentées, et n'avait pas l'entrainement requis. Toute dispersion ou mauvaise coordination pouvait se solder par une opportunité pour les morts-vivants et de nombreuses pertes, ce qui était à éviter.

Bratac n'était pas certain du nombre exact de morts-vivants trolls qui se dirigeraient vers Fondfroide, aussi le capitaine appela un de ses sous-officier pour évaluer le nombre de soldats dont la tour pouvait se passer et de monter l'expédition sur Fondfroide dans les prochains jours. La plupart des membres du groupe grimaça en découvrant que le sous-officier était une humaine... morte-vivante !

Bien que ses vêtements et son tabard recouvrirent l'entièreté de son corps pour en dissimuler l'état, la décomposition de son visage d'une pâleur cadavérique, la lueur émanant de ses orbites et une certaine odeur résiduelle témoignaient clairement de sa condition de morte-vivante. Cependant le capitaine semblait ne pas s'en formaliser, lui qui devait pourtant abattre des morts-vivants à tour de bras à longueur de journée, et transmit à cette Odyle Costegal les instructions. Ta'ka et Wa'dip expliquèrent en zandali aux autres trolls que la Croisade d'argent acceptait aussi dans ses rangs quelques Réprouvés.

Le groupe en profita pour glisser qu'il serait souhaitable, dans la mesure du possible, que les Argentés capturent un des trolls morts-vivants durant leur opération de nettoyage, préférablement un qui soit en état de répondre à des questions. Ta'ka traduisit que durant leur investigation, le groupe avait en effet cru comprendre qu'une "femme" de race, appartenance et nom inconnus aiderait ou peut-être même dirigerait dans l'ombre, ces trolls morts-vivants. Mais ils n'avaient pas pu en savoir plus, mais si un troll était ramené, ils pourraient communiquer avec lui en zandali et peut-être en apprendre davantage ! Bien sûr, ils ne mentionnèrent pas qu'ils espéraient aussi obtenir des informations concernant Zul'Mashar pour leur propre intérêt.  

Odyle Costegal tourna vers le groupe son visage placide et fit jouer la baguette de magie arcanique qu'elle tenait entre ses doigts déchiquetés, avant d'acquiescer. Elle ferait de son mieux pour ne pas "s'enflammer" et pour capturer un des adversaires sans trop l'abîmer.

Les pas de la pas-morte se rapprochent du groupe. Ils sont posés en extérieur, près de la tour de garde. Bien qu’ils soient dans les maleterres, l’air autour de ce lieu semble plus sain, l’herbe est même plus verte. Un véritable îlot de verdure au milieu d’une terre désolée.

Odyle, la morte-vivante se présente à eux, flottant à côté d’elle, le prisonnier retenue par des chaînes et vu l’aura lumineuse sur certaines, ce ne sont pas uniquement de simples entraves.

“Je vais rester près de vous au cas où. S' il tente quoi que ce soit, je pourrais ainsi l'arrêter immédiatement.”

Sala’jin hoche la tête, de toute manière la discussion sera en zandali. Le gurubashi observe leur prisonnier. La peau est plus que pâle, livide, il y a des sutures plus ou moins grossière de visible et par endroit il manque même des morceaux de peaux. Mais dans l’ensemble il pourrait passer quelque chose de bien conservé … Pour tout mort-vivant que ce soit ce troll.


La discussion fut difficile à engager, le troll réfractaire à dire quoi que ce soit et Sala’jin, tout comme les autres, ne souhaitant pas essayer de “questionner physiquement” le prisonnier. Ils apprirent que c’était bien eux qui avaient récupéré les corps, s’en servant comme matière première pour rester entier et que cette connaissance venant d’une tierce personne sans qu’il ne mentionne qui c’est. Malgré les efforts de Sala’jin pour en apprendre plus, les résultats furent mitigés, Le mort-vivant finit néanmoins par commencer à s’ouvrir lorsque Sala’jin lui demanda s' il venait de Zul’MAshar, mais surtout quand Wa’dip fini par faire remarquer que s’il restait dans un état de non mort c’est qu’il y avait aussi une raison derrière, que Wa’dip lui il acceptait que des trolls choisissent de rester ainsi si il y avait un but, une volonté en eux.

A partir de là ils purent obtenir quelques informations. Le captif venait bien de Zul’Mashar, faisant partie d’un groupe de chasseurs dirigé par Raeldaz. Suite au retour des morts-vivants, la situation déjà précaire s'est encore aggravée pour les écorchemousses et le groupe décida d’aller chasser plus loin de la nourriture saine. Malheureusement ils finirent par chasser et consommer de la nourriture infecté et furent transformés. A présent leur volonté tient au fait de se venger du chef actuel des Ecorchemousse, Thores’jin, car il aurait sacrifié une partie des trolls de Zul’Mashar afin de sauver l’autre.

Sala’jin, Ta’ka, Ojanka, Wa’dip et Hel’kalna se regardèrent un instant au vu de l’histoire. Il y avait encore beaucoup d’ombre au tableau, mais potentiellement une piste pour la cité des écorchemousses. Cependant, comment y aller ? Dans quel état serait-elle ?
Pour le savoir il fallait en apprendre plus.

Le prisonnier leur demanda de le libérer afin qu’il puisse rejoindre son groupe, de continuer à préparer leur vengeance. Au lieu de ça, ils parvinrent à un accord. Le libérer , mais en contrepartie de pouvoir rencontrer, sans risquer de mourir, Raeldaz, chef du groupe des trolls mort-vivant afin de pouvoir discuter avec lui. Le prisonnier fini enfin par donner son nom, Maalik.


Après que les informations furent transmises à Odyle, la pas-morte argenté, afin de pouvoir valider auprès des argentés la libération du prisonnier. Sala’jin resta silencieux, écoutant les autres trolls d’une oreille.


Pour lui, un troll pas-mort est maudit, un troll qu’il faut libérer afin qu’il puisse passer définitivement de l’autre côté. Voir que le Maalik préfère rester dans cet état … il ne comprend pas. Ce qu’il a pu voir, connaître vient des expériences ignobles de Zanzil en Strangleronce et la mort était une libération.

Décidément, les maleterres commencent à révéler d’amères surprises.

Maalik proposa de s'avancer en premier vers l'ancien cimetière, afin de prévenir ses amis et ainsi éviter une levée de haches et de lances vers les Héritiers. Ces derniers se consultèrent, pouvaient-ils lui faire confiance ? Ou bien le prisonnier, que les Argentés leur avaient confié pour tenter d'obtenir plus d'informations, allait-il avertir et ameuter les trolls morts-vivants pour les encercler et les piéger ?

Ils prirent le risque de le laisser faire. Maalik resta à la clôture, pour être visible des Héritiers, mais interpella et discuta avec ses alliés. Il sembla un moment que les tensions montaient et que les morts-vivants allaient en venir aux mains, mais finalement Maalik revint vers Sala'jin, Ta'ka, Wa'dip, Ojanka et Hel'kalna en leur faisant signe que la voie était libre.

Entre les tombes en pierre abimées par le temps, les trolls morts-vivants encore dotés de raison grondèrent mais tinrent leurs amis plus "incapacités" dociles pour éviter qu'ils ne se jettent sur le groupe de trolls vivants traversant leur "territoire". Leur nombre avait diminué, puisqu'une partie d'entre eux avait été exterminée par les troupes d'Odyle Costegal dans le village de Fondfroide, là où Maalik avait été capturé.

Ce dernier leur expliqua qu'en bas des marches des catacombes, son chef et son bras-droit venaient d'être prévenus de leur visite et les attendaient. Les Héritiers, hésitants, méfiants, les muscles tendus et les mains non loin de leurs armes, s'engouffrèrent finalement dans la gueule du loup.

Avant de s'entretenir avec Raeldaz et Vorzaket, il fallut braver la puanteur étouffante intenable de la pourriture du milieu confiné. Elle emplissait chaque respiration et retournait les estomacs les plus endurcis. Le groupe resta donc non loin de l'escalier salvateur, autant en cas de fuite nécessaire que pour le peu d'air frais extérieur qu'il faisait circuler.


Là, dans la lumière tamisée de quelques torches, dans les ombres et l'humidité, un troll des forêts massif et son plus proche conseiller et ami les scrutèrent. Leurs mousses et lichens cutanés, typiques des trolls des forêts, ont fané, jauni, séché, bruni rendant leurs épidermes ternes. Les corps sont clairsemés de plaies et de crevasses qui ne régénèrent pas. Plusieurs touffes des anciennes chevelures touffues sont tombées. Dénudés, ils ne sont recouverts que de loques et morceaux de tissus d'anciens habits déchirés.

Leur état est misérable. Pourtant leur condition suscite majoritairement chez les Héritiers la peur et la défiance, plutôt que la pitié. Ils ont l'habitude à présent et savent que sous ces apparences défraichies se cache une redoutable vigueur et surplus de force amenées par les sombres pouvoirs de la magie qui les anime.

Raeldaz, le colossal meneur des trolls morts-vivants prend la parole pour s'adresser à ses "visiteurs". Vorzaket, triturant des grisgris en bois entre ses doigts écoute et observe. Les Héritiers savent que la tournure de cette conversation va déterminer s'ils ressortiront d'ici en paix ou non, et avec de nouvelles informations ou pas. La moindre parole, le moindre mot, sera déterminant...

Nous sommes ressortis. Nous sommes ressortis vivants. Je porte encore dans mes cheveux, sur ma peau, sur mes habits la puanteur infecte de ces morts-vivants. Mais ça aurait pu être pire. Les trolls que j'escorte et que j'ai promis d'aider ont pu discuter avec le chef de la bande de trolls non-morts, et nous n'avons pas eu à les combattre.

Et c'est tant mieux, parce que le Raeldaz colossal aurait été un problème. De même que les nombreux morts-vivants à ses ordres, qui nous attendaient à la surface. Certains ne sont quasiment plus que des goules, animés par la seule violence et faim de chairs, tandis que leur volonté et leur mémoire se sont évaporées. Raeldaz et Vorzaket ont encore leur conscience, bien que j'ignore si les sursauts de brutalité et la soif de vengeance dont Raeldaz a fait preuve soient inhérentes à sa personnalité ou s'ils sont le résultat de sa réanimation par le sombre vaudou qui pollue ces terres.

Ils ne veulent pas dire qui les aide, même s'ils n'ont pas cherché à cacher qu'ils ont effectivement été approcher et aider par une femme. C'est la seule qui ne les a pas traité comme des monstres et leur enseigne comment faire pour se "soigner" maintenant qu'ils ne bénéficient plus de la régénération trolle : couture des plaies, magie vaudou à partir de "matériaux" externes. C'est pour cette raison qu'ils ne peuvent cesser leurs activités de "récolte". Ta'ka a fait valoir le fait que bien qu'on se contrefiche du destin des cadavres de peaux-roses qu'ils déterrent - ou récupèrent vivants -, leurs actions ont bien été repérées par les soldats de ces tours blanches - la Croisade d'Argent - et qu'à terme, ils mèneront des expéditions de "nettoyage" contre Raeldaz et les siens.

Mais Raeldaz se contrefiche de cette menace. Car ces collègues et lui n'ont qu'un seul objectif : aider Zul'mashar. Sala'jin a voulu en savoir plus. Vorzaket a expliqué que leur tribu, qui survit dans un coin reculé de la région, a survécu au Fléau mort-vivant, mais qu'ils succombent.... face à la faim. La pénurie de nourriture comestible pour ces survivants est un problème quotidien. Je les comprends parfaitement. C'est exactement le même soucis qui s'est posé pour nous. C'est ce même besoin qui a poussé le chef à mener la moitié des forces restantes de nos combattants pour quitter le village et trouver du gibier ailleurs. C'est à cause de cette situation et de son départ que ce salopard de Voobe m'a vendue...

Toutefois, le chef de la tribu de Raeldaz et Vorzaket n'a pas fait le même choix. D'après leur dire, Thores'jin - c'est le nom du chef actuel - miserait la survie de la tribu sur un ancien rite traditionnel : le Grand Sacrifice. Il s'agit du sacrifice d'une partie de la tribu.... pour servir de nourriture à l'autre partie. Sauf qu'à force de procéder à ce rituel encore et encore à chaque fois que la situation le requiert, les Ecorchemousses vont tout simplement disparaitre et il n'y aura plus assez de naissances pour compenser les pertes.

Raeldaz s'est opposé à la poursuite de cette tradition qu'il ne juge plus appropriée pour la situation actuelle. Il s'est confronté à Thores'jin et il a quitté le village en jurant de trouver de la nourriture à rapporter au village. La suite, Maalik nous l'avait déjà racontée. Les pourceaux qu'ils avaient mangé, les avaient transformé en morts-vivants. Depuis mon départ, le chef est-il rentré au village avec les chasseurs ? Ou ont-ils connu un destin similaire ?

Je me perds dans des réflexions silencieuses en écoutant Sala'jin, Ta'ka et Wa'dip qui débattent du choix à faire, maintenant qu'ils ont les informations qu'ils cherchaient. Ils ont demandé à pouvoir en discuter à l'écart. On fait le point.  


Raeldaz et les siens n'arrêteront pas tant que Thores'jin continuera de mener Zul'Mashar à sa perte. Il veut sa vengeance contre son ancien chef. Sauf qu'il ne peut l'atteindre pour le moment. Vorzaket a révélé que la "barrière" qu'ils tentent de franchir et que Bratac avait entendu mentionnée lors de son excursion spirituelle n'est pas du tout celle des tours argentées, mais celle du village même de Zul'Mashar ! Le vaudou et les loas protecteurs de la tribu gardent les morts-vivants à distance, empêchant donc Raeldaz, Vorzaket, Maalik et les autres de s'approcher. Ils sont bannis... moralement et physiquement. Vorzaket tente d'apprendre à la contourner mais cela prend du temps.

Sala'jin a voulu savoir ce que notre groupe pourrait faire d'autre pour les apaiser et qu'ils arrêtent de se faire remarquer par les soldats d'Argent. Raeldaz a donné sa condition en s'emportant avec férocité : la tête de Thores'jin et rien d'autre. Maintenant Sala'jin, Ta'ka, Wa'dip, Hel'kalna et Bratac vont devoir prendre leur décision : car ils n'ont pas d'informations supplémentaires sur la femme de l'ombre qui aide ces trolls morts-vivants, et que les dits morts-vivants ne semblent pas vouloir cesser leurs activités et leur pacte avec elle tant qu'ils n'auront pas obtenu satisfaction dans le sang de leur ennemi, celui qui est selon eux la cause de tous leurs malheurs et qui finira par tuer la tribu.

Ta'ka a fait remarquer que même en tuant Thores'jin, rien n'indique que la situation à Zul'Mashar s'améliorera. Qui prendra la tête de la tribu s'il est destitué ? Et quelles seront ses décisions ? Est-ce que cela engendrera plus de chaos menant à une guerre interne entre ceux qui veulent continuer le rite du Grand Sacrifice en espérant un retour à des jours meilleurs, et ceux plus progressistes qui souhaitent partir ou chercher une autre solution ?

Personnellement je trouve que cette tribu doit décider de son propre destin. S'ils ne sont pas d'accord avec leur chef, ils n'ont qu'à le défier eux-mêmes. S'ils sont trop faibles, alors qu'ils le respectent et l'écoutent. Maalik, Raeldaz et leurs collègues ont voulu prouver qu'ils pourraient faire mieux, ils ont échoué. Que leur échec soit amer, je le comprends. Mais si le Grand Sacrifice est une coutume sacrée et ancestrale des Ecorchemousses et que cela leur est naturel de procéder ainsi quand les temps sont durs, qui serions-nous pour nous interposer ?

Salajin n'est pas venu pour s'immiscer dans la vie et les choix de trolls de Zul'mashar, uniquement pour apprendre de leur savance, ça me rassure. Mais de son côté, il serait plutôt d'avis qu'il vaudrait mieux que Realdaz et tous les trolls morts-vivants qui l'accompagnent meurent et soient "libérés" de cette non-vie. Il n'aurait sans doute aucun scrupule à indiquer leur localisation au capitaine d'Argent, voire à les aider à tout "nettoyer".  

Wadip défend les morts-vivants. Il dit que certains finissent par trouver leur place en ce monde et rester "sains d'esprit", comme la Odyle des Argentés, qu'on a rencontré, ou les "Réprouvés" de la Horde. Si les autres ne veulent pas agir contre Thores'jin, alors ils doivent être équitables et ne pas agir non plus contre Raeldaz. Néanmoins au fur et à mesure qu'il parle, je sens que lui-même est confus : il voudrait que tout s'arrange, mais il sent qu'il n'y a pas d'issue favorable et que tout le monde ne pourra pas vivre heureux pour toujours.

Les choix diminuent, de même que les solutions, et pourtant pour continuer, il va falloir prendre une décision. Les trolls que j'observe sous cet arbre vont devoir mentir à tous. D'abord à Raeldaz car ils ne comptent pas tuer Thores'jin comme convenu en échange du chemin d'accès à Zul'Mashar. Puis à la Croisade d'argent, en cachant avoir libéré Maalik et rencontré les trolls morts-vivants. Peut-être aussi à moi finalement ?

Ils m'ont libérée et je me sens redevable, mais jusqu'à quel point ? Je peux être un outil pour faciliter une prise de contact avec mes semblables trolls des forêts, mais rien ne dit que ceux de Zul'Mashar m'écouteront. De mon côté je réfléchis donc surtout à la meilleure approche possible : celle qui me permettra de rester en vie. Ces trolls de Zul'Mashar meurent de faim, je suggère donc qu'on leur trouve des victuailles à apporter en signe de bonne volonté et de paix.

J'ai déjà vu Wa'dip utiliser son don vaudou pour faire pousser des champignons, ça peut être un début. Il dit que pour en assurer une grosse quantité, il lui faudra de la bonne terre, comme celle purifiée au pied des Tours d'Argent. Et ils ont aussi des pousses de champignons spécieux de leur lointaine contrée qui, formant ensuite un baume, aide à soigner les plaies infectées par les non-morts. Je les ai vu s'en servir, avec succès, plusieurs fois. Wa'dip préparera donc de quoi préparer cette culture rapidement, pendant que Sala'jin et Ta'ka iront donner leur réponse "positive" à Raeldaz.

Je les suis de loin, quand ils retournent vers le champ de pierres levées et du petit bâtiment où Raeldaz et les siens ont élu domicile. Ils n'ont pas le temps d'approcher de la clôture à moitié défoncée que Maalik, sortant de derrière un tronc d'arbre les rejoint au pas de course.

Je n'entends pas ce qui se dit. J'ai mes haches en main, prêtes à être lancées s'il y a un soucis. Mais finalement Maalik semble donner un petit objet à Sala'jin, ils discutent et Ta'ka et lui font demi-tour pour revenir à ma hauteur. Le troll leur a dit que ce n'était pas le bon moment pour parler à Raeldaz.

Odyle a expliqué que les nouveaux morts-vivants sont souvent "perturbés" et "instables" , ils peuvent n'être guidés que par des motivations vindicatives, et avoir des pertes de repères spatiotemporels ou des pertes de mémoires. Est-ce ce qui l'empêche de voir Sala'jin et Ta'ka ? Ou bien a-t-il reçu la visite de la fameuse inconnue et Maalik a-t-il reçu l'ordre de les tenir à l'écart ?

Aucune idée, en tout cas Maalik a confié deux choses. D'une part, les indications du chemin à emprunter pour trouver Zul'Mashar, en suivant une une rivière vers l'Est jusqu'à des montagnes abruptes qu'il faut ensuite traverser vers le nord. D'autre part un pendentif que Sala'jin doit remettre à "Skibi". Maalik a dit qu'elle comprendra. Espérons que les autres Ecorchemousses comprendront surtout qu'on n'est pas des ennemis...

Comme prévu, Wa'dip a trouvé un petit coin au pied de la tour des z'argenté, où il ne dérangera personne. Les soldats d'argent ont donné leur accord pour qu'il utilise sa magie et Wa'dip a examiné la terre, qui n'est pas souillée et qui est de bonne qualité. En revanche il faut de l'eau... beaucoup plus que ce que les z'argentés veulent bien donner en ration quotidienne dans une gourde à leurs visiteurs.

Attendre qu'il pleuve, on peut pas vraiment se le permettre... Qui sait quand ça arrivera. Mais apparemment il y a un village que les z'argentés ont "nettoyé" et purgé récemment, pas très loin, qui possède un puits. Wa'dip est content de nous apprendre ça et de nous confier un tonneau vide. J'escorte ce groupe étrange de trolls des jungles bizarres pour les protéger et payer ma dette de sang, et maintenant je suis transformée en porteuse d'eau, et Ur'zoa en bête de somme. Les esprits de mes ancêtres doivent me maudire. Boarf... un peu plus ou un peu moins, je ne suis plus à ça près.


On a harnaché le tonneau sur Ur'zoa et pris la direction du village indiqué, avec Ta'ka. C'est la femelle de leur groupe. Au moins je ne dois pas me coltiner le Bratac, avec ses airs supérieurs. La présence de Ta'ka m'est plus tolérable. Toute Sombrelance qu'elle soit. Tout du moins on peut discuter, avoir une conversation avec elle. La seule chose qui m'énerve c'est quand elle me regarde avec de la pitié. Sa gentillesse me transperce comme un lame qui se retourne dans une plaie. Je peux très bien me débrouiller par moi-même ! Non, c'est même mieux que ça : il ne faut jamais compter que sur soi-même. D'ailleurs, c'est eux qui ont besoin de moi, pas l'inverse ! Je ne les accompagne que parce qu'ils m'ont sauvé la vie et que je leur en dois une à chacun. Et puis... qu'est-ce que je pourrais faire d'autre... ?


Je secoue la tête alors qu'on arrive en vue d'habitations humaines effondrées. Le puits est lui aussi en vue, se dressant au milieu d'une ancienne place circulaire. Et pas de mort-vivant. Apparemment quand les z'argentés font le ménage, c'est efficace.

On approche du puits pour remplir le tonneau quand une silhouette spectrale se matérialise, d'abord instable avant de gagner en intensité. Ta'ka se met aussitôt en mode défensif, c'est-à-dire qu'elle se change en boule de poils et montre les crocs et les griffes. L'entité parle... dans ma tête. Je l'entends comme une voix intérieure, discontinue, rémanente. Et je comprends ses paroles. Pourtant la petite forme éthérée ratatinée qui se tient devant nous m'a tout l'air d'un humain décrépi et je doute qu'il ait appris le zandali dans sa vie.

Ta'ka et moi nous jaugeons du regard, l'observons et il continue à parler dans nos têtes, encore et encore. C'est un esprit revanchard qui veut nous écarter du puits parce que c'est "son" eau et celle de son village. Qu'on n'a aucun droit de violer cette propriété. Mon cul ouai ! Cette terre appartenait aux trolls bien avant que lui et sa misérable race de peaux-roses ne viennent au monde. Si quelqu'un ici est un envahisseur occupant un endroit qui ne lui appartient pas c'est lui ! Enfin lui il n'occupe physiquement plus rien. S'il avait été vivant, il aurait tâté de mes haches.


Je me tourne vers le puits et balance le récipient au fond en entendant avec satisfaction le "ploc" indiquant qu'il n'est pas vide. L'esprit s'énerve alors pour de bon et soudain se retrouve à ma hauteur, me traversant de part en part dans un souffle glacial, promettant de me maudire de tous les maux imaginables ! La sensation est très désagréable. Mon sang qui bouillait à l'écoute de ses propos stupides quelques instants auparavant, est maintenant glacé. Je n'en mène pas large, mais tente de ne rien montrer devant Ta'ka.

Nous échangeons des paroles à l'encontre des humains, et des peaux-roses naines, elfiques et gnomes, bref de tous les parasites qui ont volé les terres trolles ancestrales. Cela me rassérène de partager cette haine viscérale avec elle. Le fantôme ne réapparait pas, cependant je presse notre départ, m'assurant que le tonneau une fois rempli, soit bien fermé et maintenu sur Ur'zoa. Ce n'est pas que je prenne mes jambes à mon cou, mais je préfère mettre de la distance entre ce spectre vengeur et moi.

De retour à la tour d'argent, notre butin est mis à l'examen par les soldats z'argentés qui ne veulent pas qu'on fasse rentrer n'importe quoi dans leur périmètre. On attend qu'un des leurs vienne vérifier la pureté de l'eau et éventuellement la décontamine, avec le même vaudou que celui qui leur permet de garder la terre alentour propre et fertile.


C'est un elfe peau-rose blond qui vient s'en charger. Keh. Je laisse Ta'ka s'expliquer avec lui en orc. Je saisis quelques bribes, quelques mots par-ci, par-là, suffisamment pour comprendre qu'il va effectuer une sorte de rituel avec sa magie elfique pour s'assurer de purifier entièrement l'eau, au cas où il y aurait des traces de peste. Au moins il ne nous prend pas de haut - encore heureux vu sa taille - et s'exécute rapidement.

Après ça, on retrouve le Wa'dip à l'écart, occupé à retourner et aérer la terre, en prévision de sa plantation. Il a dispersé des spores de champignons, ceux qui ont servi à fabriquer le baume que Sala'jin transporte dans son sac et qui permet de soigner les plaies infligés par des goules et autres morts-vivants, pour en assurer la guérison et éviter toute purulence. Je me demande si Wa'dip emporte toujours avec lui une sacoche complète de spores de tous les champignons de sa connaissance ? Si c'est le cas ça doit servir de rembourrage et explique pourquoi il dort dessus comme sur un oreiller !


Wa'dip nous félicite pour cette mission rondement menée et nous explique qu'il a - encore ! - besoin de nous pour la suite. Il n'a jamais eu à cultiver et faire croître autant de champignons en une seule fois. Ce qui va lui demander beaucoup d'énergie. Qu'il n'a pas. On pourrait penser qu'avec le temps qu'il passe à dormir, il en aurait à revendre, mais non. Le Sombrelance nous confie à Ta'ka et à moi une amulette chacune, qu'il a confectionné.

On doit tenir l'objet dans nos mains, pointées dans sa direction, et ensuite se concentrer sur le concept de croissance, de prolifération. Il dit qu'on peut laisser des images émerger dans nos têtes et que ça suffira à stimuler la magie des grisgris et l'aider lui à faire germer tous les spores.


Rien de bien compliqué. Ta'ka semble septique et rechigne mais elle se met en place. Il renverse et répartit l'eau sur le sol et on se met en position. Je ferme les yeux en serrant l'amulette pointée vers Wa'dip. Je n'ai aucun mal à laisser la sensation familière des mousses et lichens qui poussent, rampent et parsèment tout mon être depuis toujours. A chaque fois que je me blesse, ma régénération répare la plaie, puis elles prolifèrent pour repeupler la partie lésée de mon corps. Isolant contre la pluie, le froid, les parasites, c'est ma seconde peau.

La magie afflue rapidement et Wa'dip fait signe que ça fonctionne... de mon côté. On ne peut pas en dire autant de Ta'ka. Elle s'agite, maugrée, s'énerve, insulte Wa'dip au passage pour la forme sans que rien ne se passe. Wa'dip a besoin de son aide, alors il essaie de l'encourager et je me joins à lui en lui disant de faire le vide, de se détendre et de penser à un bourgeon d'une plante qui lui soit familière dans sa jungle natale ou ailleurs.



Après plusieurs tentatives infructueuses, elle parvient à établir son psychisme sur l'amulette et en activer la magie vaudou latente. Wa'dip s'empresse de canaliser tout ça pour son rituel et faire germer des champignons les uns après les autres à une vitesse surprenante.

C'est une réussite et on dissipe finalement les effets des amulettes, un peu engourdis. Le fongimancien approuve avec plaisir la qualité des champignons qui ont poussé et je me penche pour l'aider à les récolter quand Ta'ka tombe comme une masse, deux mètres plus loin. Un contre-coup du rituel ? On se précipite pour l'aider mais elle est inconsciente. Je demande à Wa'dip si ça lui est déjà arrivée ? Il ne sait pas. Est-elle allergique aux champignons ? Il n'en sait rien. Bon sang mais c'est lui qui est sensé la connaître, pas moi ! Et pourquoi je m'inquiète d'abord ?!

Me vient l'idée qu'elle est peut-être enceinte et a dépensé trop d'énergie par rapport à sa condition ? Sala'jin et elle fricotent ensemble c'est évident. Sala'jin ! Voilà qui la connait et saura pourquoi elle vient de tomber. Je laisse Wa'dip veiller sur Ta'ka et je cours chercher le Gurubashi.

Après avoir laissé quelques jours à Ta'ka pour se remettre, le groupe a repris la route, en sens inverse, pour retourner vers l'Est, suivant les indications données par Maalik. On a continué à éviter de traverser les villages ou d'approcher les fermes humaines et on s'est cantonnés aux pavés encore visibles pour suivre le chemin où les soldats d'argent envoient régulièrement des patrouilles, messagers et convois.

Parfois on s'est arrêtés à hauteur de ces soldats croisés pour demander des renseignements et Ta'ka et Sala'jin essayaient d'évaluer si on était toujours dans la bonne direction au milieu de ce paysage chaotique morne où tout se ressemble et où les seuls réels points de repère sont ces fameuses tours de pierres blanches défendues par les z'argentés.


A force d'aller vers l'Est, on a d'ailleurs fini par atteindre la "tour du mur d'est". Y a toujours essentiellement des peaux-roses pour nous voir venir de loin - difficile pour un groupe de trolls de passer inaperçu - et nous accueillir/questionner sur notre présence ici. Quand leurs regards perçants se tournent vers nous, j'ai toujours ce réflexe de me dire qu'ils vont m'attaquer. Mais non. A leurs yeux, je suis une Vengebroche de la Horde, accompagnant des Sombrelances de la Horde. Comme si je pouvais avoir quoi que ce soit en commun avec les Vengebroches ! La seule fois où j'ai eu affaire à un Vengebroche, ça s'est très mal fini...

Le groupe a fini par trouver une orque z'argentée avec qui parler en langue orque plus aisément. Elle dit qu'on peut passer mais juste avant qu'on s'avance vers la tour, la garde orque rajoute :

« - Oh juste une précision ! Ne touchez pas aux animaux qui sont élevés à la tour du mur d'Est, notamment aux daims et lapins ! Ils ne doivent pas servir de repas !
- Euh... d'acc. Mais ils servent à quoi alors si on peut pas les manger ? Ils sont pestinfectés ?
- Ils sont ici dans le cadre d'un programme de sauvegarde et de réhabilitation mené par des Draeneï. Apparemment ils avaient obtenu des résultats encourageants dans leurs îles suite à la corruption de la faune. La coordinatrice Clakbulle mène cette expérimentation et espère que le fait de vivre sur une terre purifiée et de consommer de l'herbe saine pourra leur rendre leur intégrité et les soigner complètement.
- Euuh.. c'est bien. Mais on aura p'tête besoin de refaire des stocks, on pourra acheter quelques rations ?
- Si le prochain convoi de ravitaillement n'est pas en retard, ouai. Sinon vous ferez comme nous : vous aurez plus qu'à chasser et manger de la chair de ver des Maleterres.
- Les espèces de grosses larves jaunâtres ? C'comestible ces trucs-là ? Vraiment ? »

La factionnaire orque z'argentée se marre en voyant la réaction de Sala'jin, malgré le masque, son dégoût est évident. Le Gurubashi désigné Sombrelance grommelle en entendant l'orque se foutre de lui. Il lui reste encore un peu de dignité.

« - Ouai, j'y croyais pas non plus quand je me suis engagée ici. Figurez-vous que ce sont les seules créatures qui arrivent à ingérer de la corruption et ne pas être atteintes par la Peste ! Leur chair est un peu insipide et filandreuse mais.... quand on a faim, on fait pas la fine bouche.
- Il a presque hâte...
- C'est en tout cas la seule source de nourriture qu'on peut se permettre d'avaler les yeux fermés sans craindre de se liquéfier de l'intérieur. Faut juste... s'y habituer. »

J'essaie de suivre des bribes de la conversation, mais l'orque parle vite dans sa langue natale. J'ai quelques vagues notions héritées d'un temps où les orcs avaient pactisé avec nos tribus. Ce qui est sûre c'est que les alentours semblent en effet plus verdoyants que les autres tours, et on remarque la présence d'une biche à l'allure maigrelette et malade sous un arbre, mais aussi d'une chauve-souris normale et même de piafs qui piaillent.

Au pied de la tour, on tombe sur une gobeline qui piaille elle aussi, pour nous interpeller. Elle porte un tabard z'argenté et elle nous détaille de haut en bas en frappant son bâton orné d'une pierre bleue contre le sol comme un piquet. Manœuvre d'intimidation ? Peut-être une magicienne, faut s'en méfier. Je la garde à l'oeil en restant en retrait pendant que les autres discutent avec.

« - Hé là ! Mais qui est-ce qui a laissé entrer des étrangers non prévus ?
- Salutation, nous sommes...
- Oui, oui salutation ! Vous ne faites pas partie du convoi d'approvisionnement habituel !
- Non, on est ici simplement de passage. On enquête sur des trolls pas-morts pour aider le capitaine Senterouge.
- Senterouge ? Oh je vois... Celui-là il ne rate pas une occasion de me donner du travail supplémentaire... comme si je n'étais pas déjà débordée ! Eh bien nous n'avons pas de trolls morts-vivants à signaler par ici, vous pouvez faire demi-tour !
- On va pas rester longtemps, juste le temps de l'étape, se reposer et repartir. Et on touchera pas aux animaux autour.
- Encore heureux ! Nous sommes en pleine phase expérimentale ! Je suis Gamella Clakbulle moi ! Je mène des travaux à la pointe de l'innovation ! Je suis une gobeline occupée. Vous croyez que quelques paladins et une poignée de soldats pourraient se charger de faire reverdir les Maleterres seuls ? Ha ! Il faut de l'ambition pour ça ! Il ne faut reculer devant aucune possibilité !
- Euuh.. oui, c'est... plutôt réussi. Bravo ?
- Je dois dire que c'est en effet en bonne partie grâce à moi qu'on en est là aujourd'hui ! Bien sûr avec un peu d'aide de mes collègues draeneï. De temps à autre.
- Et sinon vous avez constaté des dangers particuliers dans le secteur ? Des pas-morts plus nombreux ou autre chose de récent ?
- Les dangers ? Dans les Maleterres ? Vous plaisantez ? Je vais essayer d'être exhaustive : danger de mort brutale si vous vous enfoncez dans le vallon et la clairière à l'Est, danger d'agonie lente et douloureuse du côté de Valnord et ses collines environnantes, et danger de souffrances indicibles à l'Ouest vers le lac de Noirbois.
- Ça c'est de la catégorisation...
- Nous sommes heureusement assez éloignés de Pestebois pour ne pas être pollués par les effets des spores de peste des champignons géants qui y prolifèrent. Mais le reste n'est que danger, danger et re-danger.
- Merci pour ces... informations claires. »

On passe deux jours et deux nuits sur place, le temps que leur caravane de ravitaillement arrive et qu'on puisse refaire des provisions en rations et en eau pure pour la dernière ligne droite. On s'est ensuite remis en ordre de marche, suivant toujours la rivière comme indiqué, avant de bifurquer vers le nord pour suivre les montagnes.


Un village abandonné s'est trouvé en travers de notre route. Ta'ka l'a survolé grâce à son don de changeforme et elle a vu que ça grouillait de trucs qui bougent. On a donc dû dévier de notre trajectoire, à l'aveugle, pour le contourner par les plaines, là où on n'avait plus de couvert ni de retraite possible. On n'est pas tombés sur des squelettes errants, ça non, car la menace venait du sol. Une sorte d'élémentaire de terre putride nous a surpris : il s'est élevé devant nous comme si une petite colline surgissait de nulle part. Combattre une colline, c'est compliqué. Surtout quand la colline a des yeux. Et deux bras.

On s'est défendus comme on a pu contre cet amas de tout ce que le sol contient de débris, de pierres, de vers, de racines, d'ossements et restes putréfiés. La motte d'herbes jaunies et de champignons rougeâtres à son sommet lui faisait comme des cheveux hirsutes. Ses coups étaient puissants, nous propulsant en arrière d'un seul mouvement. Heureusement, à force de lui couper des morceaux, il a semblé perdre en intégrité et a fini par se disloquer et retourner à l'humus d'où il avait jailli. On ne s'est pas attardé sur place pour voir s'il se reformait et on a vite filé vers les montagnes.

À vrai dire, on s'était un peu égarés à cause de ce détour. À flanc du massif grimpant en pente raide, abrités d'arbres plus ou moins défoliés, on a fait le point et décidé de poursuivre en suivant le relief bien qu'on ne soit plus vraiment sûrs de la direction et le crépuscule tombait, assombrissant les environs. On devait progresser sans lumière pour pas se faire repérer.

Les minutes et les heures se sont succédées, avant qu'on aperçoive au loin à travers les arbres le sommet d'une structure. C'était peut-être bien une hutte, ou un poste de guet construit dans un arbre. Ta'ka s'est à nouveau transformée pour prendre de la hauteur, sans aller survoler cette fois. Elle a cru distinguer une ou deux silhouettes de trolls sur place et pas d'autre bâtiment alentour : c'était pas un village, "juste" des cabanes-miradors en poste avancé pour protéger le village qui devait être plus loin.

Est-ce qu'on était déjà repérés ? Est-ce qu'ils allaient nous tomber dessus à tout moment ? Est-ce qu'on pouvait contourner ou bien valait-il mieux aller immédiatement à la rencontre de ces éclaireurs-là de nous-mêmes ? Le temps pour réfléchir, on l'avait pas. S'ils s'avançaient, avec leur dégaine de trolls des jungles, ils allaient recevoir un mauvais accueil. Mon rôle était d'établir le dialogue, je m'étais engagée à le faire et je me suis donc lancée.

Je me suis avancée vers les cahuttes sur le dos d'Urzoa au pas, à découvert, d'un air calme - ben que mon ventre soit noué - et sans montrer d'hostilité. Un troll dans le poste en bois couvert m'attendait, il m'a interpelée de loin, son arc et une flèche encochée, en me voyant approcher. J'ai de suite compris que l'autre, le second que Ta'ka avait aperçu, devait s'être planqué et m'avoir coupé toute retraite. J'ai mis pied à terre et j'ai montré patte-blanche, expliqué venir du nord où la situation était tendue et porter un message d'entraide et de bonne volonté pour partager des informations et des baumes.

Il s'en fichait pas mal, lui ce qu'il voyait c'était la sécurité de son village, son poste qu'on lui avait attribué ici. Il m'a mise en joue et m'a ordonné de poser mes haches à terre. A cette distance, lui en hauteur, de toute façon j'étais désavantagée. Il voulait une preuve que je n'allais pas attaquer ? Très bien. Puis il m'a demandé si je venais seule.

Mentir maintenant c'était compromettre le peu d'attention et de confiance que j'avais de sa part. J'ai joué franc jeu et répondu non. J'y ai dit que c'était pas des Amani qui m'accompagnaient, parce que Zul'Aman se fichait pas mal de ce qui arrivait aux petites tribus, mais qu'une poignée de trolls des jungles voulaient apporter de l'aide aux trolls en difficulté. « Crie-leur de venir te rejoindre », qu'il m'a fait en bandant son arc.

Un sifflement d'un pinson a traversé les bois mourrants derrière moi, puis un autre a répondu en écho, plus loin, et encore deux autres. Le troll a plissé les yeux, ça a tordu son nez et retroussé ses lèvres sur ses défenses. J'ai saisi à ce moment que je n'avais pas entendu ni vu un seul oiseau depuis qu'on avait quitté la tour des z'argentés. Ils étaient pas que deux !

J'ai hurlé « Partez ! Partez ! » de toute la force de mes cordes vocales et ensuite, ça a été le chaos.