Voyage dans les Hinterlands

C’est au début du septième mois de l’année, alors qu’une partie des trolls était toujours en séjour en Norfendre, qu’un troll des forêts se présenta à la hutte de Wa’ai. Il s’appelait Moktha et venait d’au-delà des Grand’z’eaux, des lointaines Hinterlands. Il expliqua que là-bas, sa tribu, les Moabi-mojo, subissait des assauts de plus en plus réguliers et fulgurants de la part des nains. Bien sûr, les trolls et les nains de cette région étaient des ennemis de longue date, mais cette recrudescence d’attaques était surtout le résultat d'un nouveau rapprochement récemment reforgé au sein de l’Alliance entre les trois clans Barbe-de-bronze, Marteaux-hardis et Sombrefer, mêlant magie, infanterie, ingénierie et artillerie lourde.

Le traité de paix entre l’Alliance et la Horde ne concernant pas les petites tribus trolles indépendantes disparates à travers Azeroth, les forces conjointes des nains tentait vraisemblablement d’agrandir le territoire occupé dans la zone et d’éradiquer la menace trolle - non-affiliée à la Horde - pour en récupérer les ressources. Cela passait par la conquête des villages et sites sacrés occupés par les Moabi-mojo.

Désespérée, la tribu avait appelé toute l’aide possible. Moktha et les siens avaient déjà obtenu le soutien de quelques combattants envoyés par leurs voisins Vilebranches et Fanécorce, que ces pactes temporaires soient l’œuvre d’une soif de sang commune, ou d’un arrangement secret. Quelques Amani errants étaient également arrivés au village. Mais ces maigres renforts ne suffisaient plus, c’est pourquoi Moktha avait été choisi par sa tribu pour voyager et quérir l’aide de tous les trolls qui voudraient bien l’écouter.

Il n’y avait bien sûr, rien à espérer de la part de Zandalar, dont la reine s’était empêtrée dans une situation politique instable qui ne lui laissait pas le répit pour s'occuper des affaires diplomatiques externes. Toutefois, Moktha laissa entendre que son message avait trouvé écho dans le cœur de quelques trolls parjures de la Horde, avides de faire couler à nouveau du sang peau-rose au nom du peuple troll et de leurs loas.

Les trolls autour de Celle-qui-voit n’étaient pas assoiffés de sang ou de vengeance, mais la vieille prêtresse ne laisserait pas une tribu de plus s’éteindre isolée, sans avoir prêter assistance. Si leur présence pouvait faire une différence pour repousser les nains, sauvegarder les villages, artefacts et vies des trolls locaux, il fallait le faire. Si les adversaires étaient trop nombreux et la défaite jouée d’avance, alors la trollesse espérait au moins être d’un soutien moral quelconque et inciter cette tribu à la fuite ailleurs, plutôt qu’à l’entêtement et l’extermination.

Cependant, la majorité des trolls qui l’entouraient d’habitude étaient absents, pour une durée indéterminée. Or les Moabi-mojo avaient besoin d’une aide pressante. Décision fut prise dans les jours qui suivirent. Et après quelques jours de plus de traversée, Wa’ai débarqua sur les rivages boisés des Hinterlands, escortée par Vanhem, Dakk’ris, Sala’jin et Mandeloas.





Afin de rejoindre le village de la tribu Moabi-mojo, situé dans les confins ouest des Hinterlands, il fallait traverser les forêts de résineux. Sala’jin avait déjà séjourné dans la région, mais aucun d’entre eux n’était réellement familier avec ces bois denses tous semblables, jalonnés de ravins et montagnes tout aussi semblables. A la nuit tombée, une halte fut ordonnée pour permettre à chacun de se reposer, et éviter de se perdre dans l’obscurité. Les trolls s’installèrent entre des crêts en altitude qui pourraient dissimuler la lueur du feu depuis la vallée proche, pensant ainsi éviter d’être repérés par des ennemis ou animaux (les chouettards régionaux étant décrits comme particulièrement vindicatifs).

Toutefois, ils ignoraient qu’ils étaient observés et suivis depuis plusieurs heures. Au milieu de la soirée, ces scrutateurs discrets ayant évalué les étrangers, s’avancèrent à leur rencontre. Le groupe découvrit ainsi la prophétesse Kube’ba de la tribu Tremblefeuille. Tout comme Celle-qui-voit, cette trollesse avait acquis le soutien de trolls de tous horizons. Ainsi, le groupe fit connaissance de Ankali, un troll des jungles aux multiples tatouages, Telkran et Kujaali, deux Zandalari.

Après la première vague de méfiance réciproque et les présentations faites, chacun des groupes fut curieux de l’autre. Leurs motivations, leurs loas, leurs histoires, mais aussi la raison de leur présence. Quand le sujet des nains et de la tribu Moabi-mojo fut abordée, Kube’ba acquiesça. Les siens étaient au courant de la progression inquiétante des nains dans la région. Si leurs ambitions n’étaient pas rapidement contrecarrées et mises en déroute, qui sait vers où se tournerait ensuite leur regard cupide et quelle autre tribu locale se verrait amputer d’un terrain de chasse, d’un village ou d’un temple ?

Après que Kube’ba et ses camarades confirmèrent au groupe de trolls venus des Tarides qu’ils étaient sur la bonne route pour rallier le village Moabi-mojo, Celle-qui-voit les remercia et partit se reposer contre la fourrure épaisse du loup géant Etash et sous la surveillance de Vanhem, pour qui la protection de la vieille prêtresse sur ce territoire en pleine guérilla était la plus grande préoccupation.

Dès le lendemain, se furent finalement les Moabi-mojo qui trouvèrent les Héritiers en premier. Le pisteur Moktha alla à leur rencontre, secondée par Shi’za la Soifsang, une combattante de la tribu. Après des brèves présentations, la conversation porta sur l’évolution de la situation pour la tribu, la traversée des mers et le nombre de trolls aptes au combat accompagnant Celle-qui-voit. Toutefois, Sala’jin resta mesuré : en tant que guerrier vétéran, il voulait d’abord constater par lui-même les chances de victoire dans ce conflit face aux peaux-roses. Aucun des trolls escortant la vieille Ombres-vives n’avait l’intention de la mettre en danger inutilement si la cause était perdue d'avance.

C’est sous un ciel gris et une pluie fine et fraiche, coutumière des Hinterlands, que Moktha ouvrit la marche de quelques heures qui les conduirait chez les siens. Il fallait éviter les sentiers et couper par des clairières et sous-bois où ne s’aventuraient pas les voyageurs ordinaires et les lignes d’approvisionnement de la Horde et l’Alliance. Sur le chemin, ils apprirent que plusieurs autres trolls comme eux continuaient d’affluer régulièrement vers le village des Moabi-mojo. Savoir qu’en ces temps troublés, la fraternité trolle parvenait parfois encore à surpasser les vieilles mésententes, était d’un grand réconfort pour la prêtresse du Père des trolls.



C’est une semaine plus tard, après que d’autres trolls aient continué d’arriver au jour le jour, que la tribu Moabi-mojo appela à un grand rassemblement. Le ciel capricieux des Hinterlands s’était dégagé sur une myriade d’étoiles brillantes. C’était là un signe des loas. Le moment était venu d’apporter à leurs invités provenant des quatre coins d’Azeroth, toutes les informations les plus récentes pour que chacun puisse mesurer l’étendue du conflit et des décisions à prendre pour le retourner en faveur des trolls.

Les Héritiers y aperçurent pour la première fois Zulpac, vénérable chef de la tribu Moabi-mojo. Saluant et remerciant les trolls présents pour leur soutien, il convia ses invités d’honneur à prendre place dans le Cercle de parole. Après avoir offert un sacrifice et appelé la sagesse et la clairvoyance des dieux à les guider, chacun se présenta rapidement. Les Héritiers constatèrent qu’il y avait là une assemblée variée. Outre Moktha, dont le visage devenait familier à Wa’ai, et d’autres combattants de sa tribu, il y avait également deux chefs de petites tribus, Heil’Aani des Aakani des mers du nord, Taki chef des Gawari. La cheffe Kube’ba des Tremblefeuilles avait envoyé en porte-parole le fervent adorateur de Shadra, Zun’aba. Un Amani chasseur de tête du nom de Zun’kal était aussi présent. Outre les Héritiers, on dénombrait également plusieurs trolls venus de loin comme Bri’Kam, un féticheur des sables de Tanaris, le serviteur de Bwonsamdi Zul’akir des Sombrelances – sans doute déserteur de la Horde – et Maluchka troll mystérieux et odorant constamment accompagné de ses pygmées que Celle-qui-voit avait déjà croisé.




Le principal adversaire de la tribu était le clan nain Aigle-de-roc, de sous-appartenance aux Marteaux-hardis. Depuis des générations le conflit était sanglant mais jamais décisif. Plus d’une tête réduite de nain servait d’ornement aux huttes et parures des Moabi-mojo, et de nombreux trolls avaient été dévorés vivants par les griffons de ces nabots. Mais récemment ce clan nain des Forêts avait reçu en renfort des cousins des Cavernes et du Volcan.

Peu avant l’arrivée des Héritiers, cette mobilisation naine avait profité des célébrations trolles en l’honneur du Jour des Louanges, pour attaquer l’ancien temple où les rituels avaient lieu. Cela s’était soldé par la perte d'un avant-poste de la tribu dans la forêt, le vol d'une statuette sacrée, et le massacre de plusieurs dizaines de trolls. Les nains avaient finalement pu être repoussés in extremis, grâce à la rage et la régénération des combattants moabi-mojo, avec le soutien de féticheurs, maléficieurs et guerriers d'autres tribus trolles les ayant rejoints.




Plusieurs invités trolls dans l’assemblée prirent la parole, notamment ceux ayant déjà combattu des nains Sombrefer et Barbe-de-bronze pour expliquer aux Moabi-mojo attentifs les capacités offensives d’artillerie, d’explosifs et de cracheurs-de-feu dangereux que ces clans apporteraient aux troupes naines dans les combats. Il fallait s’en méfier et ne pas les sous-estimer. Toutefois les discussions rapportèrent également que les clans nains, malgré leur récente réconciliation, conservaient des querelles intestines séculaires qu’il était peut-être possible de manipuler pour qu’ils se séparent ou qu’ils abandonnent les Aigle-de-roc, les privant de leurs atouts d'acier et de flammes.

Celle-qui-voit et ses deux accompagnateurs Mandeloas et Dakk’ris, écoutèrent silencieusement les conseils apportés et stratégies débattues quant à la façon de semer la discorde dans leurs rangs ou d’utiliser des sortilèges vaudou pour ramollir les esprits des nains en les rendant plus sujets aux disputes internes. Cependant le chef Zulpac souhaita entendre l'avis de la vieille prêtresse.




« Je ne suis pas une combattante, pas un stratège, et je ne connais rien aux nains. J’écoute les voix de trolls beaucoup plus avisés que moi sur le sujet et je suis rassurée de les entendre se galvaniser à ces perspectives de guerre. Toutefois, puisque tu m’en donnes l’opportunité, et puisque je suis la seule trollesse d’un âge avancé autour de ce feu, je vais parler aux noms des vulnérables. Ces silhouettes qui se dessinent sur les huttes autour de nous, les enfants, les non-combattants… Voici mon conseil : préparez un plan d’attaque, peaufinez-le, qu’il soit brutal et efficace. Mais prévoyez aussi un plan de repli au cas où les choses, elles tournent mal. Où aller ? Comment ralentir l’ennemi ? Qui couvrira la retraite ? Comment évacuer les jeunes, les trollions, les blessés ? Que tout soit prêt et prévu. Quelle que soit l’issue, une tribu survit tant que son héritage est transmis à une nouvelle génération. »

Celle-qui-voit se rassit en baissant la tête, le fardeau de cette vérité pesant sur ses épaules. Mais Dakk’ris prit le relai avec éloquence, pour parler de son propre passé. Le Briselance parla bien, avec gravité, de la façon dont les elfes avaient exterminé sa tribu, et comment seulement une poignée des siens avait survécu miraculeusement. Il avait ainsi eu l'opportunité de grandir, de s’endurcir, pour revenir savourer une vengeance flamboyante des années plus tard, quand l’arbre-maison imprenable, avait finalement brûlé. Mais de nombreux jeunes briselances, semblables à lui, auraient pu survivre et assister à cette revanche, si la retraite avait été anticipée et s’ils avaient mieux préparé la fuite, plutôt que s’entêter dans un combat inégal conduisant au carnage de nombreuses vies trolles.

En attendant que la tribu Moabi-mojo organise la future contre-attaque, les Héritiers suivirent Sala’jin, qui n’avait pas perdu de vue sa mission principale de préservation de la savance trolle antique. Zulpac et les siens étant pleinement occupés et préoccupés par le conflit, le partage de savance n’était pas à l’ordre du jour. Ainsi, les Héritiers n’avaient rien pu apprendre de la culture, des traditions ou des légendes des tribus locales, car tout naturellement les discussions dans le village ou au coin du feu lors des repas ne portaient essentiellement que sur les combats vécus ou à venir et l’énumération des maux subis par la faute des nains.

Toutefois, la région recelait par elle-même de nombreux témoignages silencieux du passé. Lors d’un précédent séjour dans les Hinterlands, il y a trois ans, Sala’jin et d’autres Héritiers s’étaient introduits dans l’immense Jintha’alor. Mais les raisons diplomatiques qui les y avaient conduit ne leur avaient pas permis de s’attarder à explorer les lieux. Sala’jin mena donc le groupe en expédition sur place, en quête d’éventuels objets d’intérêt, au cours d’une journée pluvieuse.

Les étages les plus bas étaient désertés, mais les trolls distinguèrent les vestiges des anciens occupants : huttes effondrées, cercle de cendres entourées de pierres, armes et ustensiles divers jonchaient encore les lieux. Comme l’imagina Wa’ai, il était bien possible que Jintha’alor fut à l’origine un immense temple sacré, entièrement dédié aux parles-loas, cérémonies rituelles et dévotions aux loas des forêts. Mais lorsque les territoires des trolls se réduisirent, ils commencèrent à habiter les premiers étages de l’immense complexe, dans une approche plus pragmatique et moins religieuse : l’endroit pouvait facilement être défendu contre les intrusions. Jintha’alor devint alors une ville-temple dans sa définition la plus pure.

Cela expliquait que les paliers inférieurs furent occupés et utilisés pour la vie quotidienne. Si les Héritiers recherchaient des tablettes liturgiques ou gravures d’importance de l’histoire trolle, il leur fallait accéder aux plateformes les plus élevées, qui avaient sans doute été réservées au culte des loas. Le groupe progressa lentement d’étage en étage. Mandeloas raviva une bougie partiellement consumée sur un autel à figure serpentine pour montrer leur respect envers les loas veillant sur les lieux.

Mais c’est au troisième pallier que les choses commencèrent à se compliquer. Le groupe passa devant un masque tiki contre un pylône en retrait, dont les yeux s’animèrent de magie et  qui s’activa sur eux. Sala’jin et Dakk’ris se jetèrent en avant pour éviter la gerbe de flammes soufflée par le protecteur magique, mais celles-ci brûlèrent le bras de Vanhem avant qu’il ne recule. Se roulant dans la boue humide sur les conseils de Celle-qui-voit, il parvint à éteindre les flammes tandis que Dakk’ris projetait avec force une hache contre le tiki pour le briser en deux afin d'en dissiper l’enchantement vaudou.




Les Vengebroches avaient beau avoir un avant-poste en contre-bas de Jintha’alor, il y avait donc encore des trolls Vilebranches – ou autres ? – pour défendre les lieux et replacer régulièrement des pièges, au moins dans les plus hauts étages de la structure. Il allait falloir se montrer très prudents. A présent les Héritiers avançaient avec une vigilance accrue, ce qui leur permit de repérer cette fois à temps un autre masque tiki en bon état, ornant une autre arcade en pierre au sommet du grand escalier suivant.

Pour accéder à l’étage supérieur, le groupe devait s’en débarrasser. Mais depuis le bas des marches, la distance était trop grande pour permettre de bien viser un lancer de hache. Dakk’ris se précipita avec vitesse en avant pour les gravir en échappant aux flammes. Une fois en haut il tenta d’atteindre le tiki, en restant hors de son champ d’activation, par le côté en escaladant les pierres. Mais elles étaient rendues glissantes par la pluie battante.

Mandeloas le rejoignit pour l’aider, en esquivant à son tour avec rapidité le piège de feu, tandis que Vanhem tenta une approche plus directe en soulevant de gros rochers pour les jeter avec puissance contre le visage de bois ensorcelé qui semblait les narguer de toute sa hauteur. En conjuguant leurs efforts, les trois parvinrent à venir à bout du tiki qui se fractura et tomba au sol, libérant le passage.

Les plus hauts paliers de la ville-temple abritaient plusieurs alcôves et autels distincts, peut-être anciennement utilisés pour divers loas, préparatifs ou rituels indépendants. Mais ce qui interpella le groupe fut un vaste amphithéâtre disposant d’un autel sacrificiel central, qui servait sans doute auparavant à de grandes célébrations. Auparavant… ou encore actuellement…

Le groupe aperçut en effet deux trolls des forêts en train de préparer quelque chose au centre de la zone. Remarquant leur présence, chacun s’arrêta. Les trolls, séparés par une distance d’une cinquantaine de mètres, se dévisagèrent avant que Sala’jin et Mandeloas décident d’avancer prudemment à leur rencontre. Ils accepteraient peut-être de parler d’eux, de leur situation, de Jintha’alor ou de légendes locales, comme Kube’ba ou les Moabi-mojo ?

Les deux trolls des forêts semblaient être seuls, et ne représentaient donc pas une menace au cas où la situation s’envenime, mais Dakk’ris préféra prendre les devants et reculer discrètement pour se faufiler dans les ombres, afin de surveiller les arrières et déjouer tout traquenard. Vanhem resta aux côtés de Wa’ai, prêt à intervenir si quoi que ce soit était projeté dans sa direction.

Mais finalement Mandeloas revint prévenir la prêtresse et son colossal garde du corps que Sala’jin semblait perdre le contrôle de lui-même face aux deux trolls des forêts, s’étant présentés Vilebranches et ordonnant aux importuns – sans doute des suppôts des Vengebroches ! – de quitter sur le champ LEUR cité.

Celle-qui-voit estima que les Héritiers n’avaient pas à interférer et perturber les activités, visiblement sacrées, menées par ces deux rescapés. Ils étaient légitimement chez eux et n’avaient pas à se justifier ou subir la présence d’intrus. Il était préférable de rebrousser chemin et les laisser. De plus les Vilebranches étaient connus pour être une tribu particulièrement xénophobe et belliqueuse. Seule leur supériorité numérique leur avait épargné une « sommation » plus musclée.

Vanhem approuva, dans une optique d'éloigner la vieille Ombres-vives de potentiels adversaires coriaces. De plus il ne voulait pas que la situation dégénère et devoir verser du sang troll inutilement pour assurer sa sécurité. Il alla récupérer le guerrier Gurubashi qui finit, bien que réticent, par se plier aux arguments de son ami et accepta de se détourner et partir, le regard sombre et les mains tremblantes.

L’heure de l’action avait sonné. Alors que les trolls Moabi-mojo peaufinaient leur plan de contre-attaque, l’incursion d’un clan orc dans les Hinterlands créa la surprise, et une opportunité inespérée. Saisissant l’occasion, la tribu Moabi-mojo envoya un groupe de volontaires – de préférence parmi les trolls maitrisant la langue orque – pour profiter du chaos provoqué dans le sillage des orcs et récupérer les précieux fûts de bière naine nécessaire à la réalisation du rite vaudou visant à embrouiller leurs ennemis nains.

Pour anticiper une possible déconvenue, les Moabi-mojo n’envoyèrent pas la totalité des combattants disponibles. Certains devaient rester en arrière, pour protéger le village et ses occupants. Participant à la mission, Dakk’ris, Sala’jin et Wa’ai, ainsi que d’autres trolls de différents horizons qui avaient rejoint les Moabi-mojo (notamment un Amani, deux Zandalari, et le dénommé Maluchka), n’eurent aucun mal à retrouver l’escouade orque en train de fêter une victoire écrasante et de panser ses plaies, au cœur d’un hameau de fermes naines à présent ravagées. Borok, chef du clan Lame-tonnerre, était prêt à écouter les messagers trolls qui se présentèrent à lui. La prêtresse du loa oublié ne comprit par toute la conversation mais Sala’jin et Dakk’ris lui traduisirent l’essentiel.

Toutefois, à peine les présentations et discussions préliminaires terminées qu’un cor résonna. Un groupement nain donnait la charge pour reprendre les lieux et venger les innocents tombés sous les haches orques. Aussitôt, trolls et orcs se préparèrent à encaisser les assauts entre les habitations. La première vague de fantassins nains, parés de tatouages et de plumes, fut repoussée sans trop de difficulté, stoppés avant même de pouvoir approcher Celle-qui-voit juchée sur le loup Etash, et restant volontairement en retrait pour psalmodier des prières bénéfiques.




Mais s’en suivit une charge montée qui donna du fil à retordre aux défenseurs. Fonçant sur leurs boucs et béliers de guerre, les Nains parvinrent à percer la défense de Sala’jin sur le sentier ouest. Occupé à combattre contre un redoutable guerrier nain qu’il avait désarçonné, le Gurubashi ne pouvait plus atteindre Celle-qui-voit pour la protéger. Heureusement, Etash s’occupa de cette tâche avec férocité. Esquivant la charge des cornes du bélier, le puissant loup gris usa de crocs et de griffes pour repousser et faire ruer la bête à sabot afin d’empêcher son cavalier de viser la vieille trollesse.

Tandis que les orcs et trolls étaient aux prises avec leurs adversaires nains à travers tout le hameau, et que les coups pleuvaient dans l’atmosphère lourde d’un orage grondant au loin, Celle-qui-voit avait perdu de vue Dakk’ris dans la confusion du combat. Cependant elle aperçut Sala’jin, tenant toujours sa position mais l’armure ruisselant d’un carmin intense à plusieurs endroits. La prêtresse se concentra et, agrippée fermement à Etash d’une main, tenant son bâton-totem de l’autre, elle invoqua sa magie bienfaitrice, issue du don du du loa oublié, la canalisant puis la renvoyant sur Sala’jin qui s’entoura un bref instant d’un halo bleuté amplifiant sa régénération.




Soudain, le monde bascula. Focalisée sur l’état de Salaj’in et sur sa supplication, Wa’ai ne vit pas venir le revers du nain toujours monté sur son bélier, qui allait la toucher et qui contraignit Etash à se jeter de côté pour l’écarter, envoyant la prêtresse dans la boue. Boue qui, heureusement, amortit sa chute. Accusant le choc, un peu abasourdie au sol, elle aurait été à la merci de cet adversaire sans le concours de Borok et de Sala’jin qui chassèrent l’ennemi. L’aidant à remonter sur Etash, le Gurubashi s’assura de la santé de la prêtresse avant de se rendre vers le reste des combattants encore debout. Heureusement Dakk’ris, blessé à la jambe, était également venu à bout du déferlement nain aux côtés des autres trolls et orcs.




Les assaillants battirent en retraite, devant cette coalition inattendue d’orcs et de trolls, qui les avait pris au dépourvu. Le guerrier nain vaincu par Sala’jin fut épargné, désarmé, ligoté et fait prisonnier. Plusieurs des siens l’avaient vu être capturé vivant, ils essayeraient surement de venir le récupérer. Il servirait donc de diversion. En effet, après discussion rapide, les orcs Lame-tonnerre acceptèrent d’aider les trolls à s’infiltrer dans le prochain hameau nain pour s’emparer de futs de bière nécessaires à une vengeance vaudou.




Les orcs et trolls encore en état de combattre se regroupèrent pour se mettre en ordre de marche vers la bourgade naine voisine à travers les collines. Sala’jin et Dakk’ris restèrent aux côtés de la prêtresse pour la protéger contre toute attaque de flanc, mais heureusement aucun ennemi ne surgit sur le chemin.




Escortant le prisonnier en guettant les cieux et les alentours, le groupe progressa jusqu’à une halte, sorte de volière-écurie non loin de leur cible, où un griffon isolé était à l’attache. Celle-qui-voit, qui ne comprenait que très approximativement la langue orque, vit le chef Borok et son maître-lame aboyer à l’encontre du nain captif en lui désignant le griffon. Le nain réticent fut conduit devant la bête sous la menace des armes. Des sifflements, grognements et rires parsemèrent la foule devant le spectacle. Quel en était le but, la vieille trollesse ne chercha pas à se le faire expliquer, plus inquiète que curieuse.




Après cet interlude, Borok proposa de scinder le groupe : une partie resterait ici à surveiller le nain. Nul doute que les éclaireurs du hameau proche, ou les survivants repliés de la vague d’assaut subie plus tôt, repéreraient bientôt leur position, alertés par les piaillements. L’objectif consistait à appâter les ennemis : ils seraient tentés de venir sauver leur confrère. Il faudrait les y encourager, et tenir leur attention suffisamment longtemps pour que l’autre partie du groupe ait le temps de s’infiltrer dans le petit village, trouver la réserve à bière et s’en emparer.

Sala’jin, Dakk’ris, Maluchka, Celle-qui-voit et le troll Amani furent désignés pour surveiller le captif nain. Les autres s’esquivèrent promptement à travers la campagne d’herbes denses et les arbres, pour ne pas laisser de trace et se diriger vers les fermes naines avoisinantes. Le nain ne tenta rien, mais l’offensive ne se fit pas attendre. Un premier éclair fendit les nuages noirs pour s’abattre à l’endroit où Celle-qui-voit et Etash s’étaient tenus quelques secondes plus tôt. Seul l’instinct du loup permit de bondir avant que la foudre ne touche le sol.

Elle n’avait rien de naturel : tournoyant dans le ciel obscurcit, une chevaucheuse naine brandissait son marteau enchanté. Tout aussitôt, les trolls furent pris par un assaut de nains en supériorité numérique. Le plan du chef orc était bon, mais il lui manquait une information cruciale : le nain capturé était en réalité le capitaine de l’escadron, et ses troupes allaient tenter le tout pour le tout pour le sauver, quitte à laisser les villages alentour brûler sans protection.

Se déployant pour leur barrer la route par laquelle les Héritiers étaient arrivés, une ligne de fusilleurs nains firent feu, dans la direction de la prêtresse juchée sur le loup. Ils l’avaient vraisemblablement repérée comme une magicienne guérisseuse et désiraient la mettre hors d’état d’user de ses bénédictions. L’un des tirs atteignit Celle-qui-voit de plein fouet à l’épaule, déstabilisant sa prise sur les rênes du loup géant, lui-même agité par les coups de feu et la menace électrique qui continuait de survoler la scène.

Enchainant leur manœuvre, des troupiers nains encerclèrent les trolls, et Dakk’ris et Sala’jin furent bientôt coupés de Celle-qui-voit. Très vite les coups de feu et les hurlements guerriers, le claquement des armes et les cris provoquèrent un vacarme tonitruant. Voyant la situation Etash tenta de se dégager pour éloigner sa frêle cavalière de ce piège mortel, mais un combattant nain lui barra le passage. Le loup le repoussa à coups de crocs et de griffes, mais glapit lorsque la hache de l’opposant lui pourfendit le col et le poitrail. Blessé mais surpassé par l’instinct de survie et l’adrénaline, le loup gris feinta et s’échappa en bondissant par-dessus un large muret en pierre, laissant derrière lui le retentissement du tonnerre et de la clameur chaotique du combat inégal.

Etash courut droit devant, perdant du sang et sentant le poids léger de la vieille trollesse se prostrer et plier vers l’avant. Il s’arrêta sous un arbre à l’écart, dont la frondaison les dissimulerait au regard perçant des chevaucheurs de griffons. Le loup, l’écume aux lèvres, tenta de lécher sa plaie difficilement accessible en grondant sourdement, tandis que Celle-qui-voit resta immobile sans faire de bruit, priant intérieurement. Heureusement il ne fallut que quelques minutes pour que Dakk’ris, puis Sala’jin la retrouvent, couverts de blessures mais bien vivants tous les deux. Soulagée, la Ombres-vives leur demanda de l’aide pour extraire la balle métallique enfoncée de biais dans son épaule.

Il fallait agir vite : avant que la régénération trolle ne fasse effet et ne ressoude les tissus autour de l’objet importun. Les deux trolls s’en occupèrent immédiatement, s’aidant d’une dague pour sortir le corps étranger. C’est à peu près à ce moment-là que le chef Borok surgit pour ordonner le rassemblement général. Son groupe avait réussi à collecter la bière naine dans le hameau désert non loin. Le groupe de renfort tentait de retenir les nains, pour permettre un repli. Ne comprenant pas pourquoi les trolls perdaient du temps à panser leurs plaies maintenant, il leur indiqua de rejoindre rapidement les autres blessés à l’écart pour préparer un repli. Il était orc, il ne pouvait pas comprendre l’urgence liée à la cicatrisation accélérée.

Les Héritiers finirent par rallier la position indiquée et purent fuir avec le reste des combattants, tandis que le maître-lame Hartok Croc-de-worg se sacrifiait avec bravoure pour ralentir les ennemis. Orcs et trolls parvinrent à un avant-poste moabi-mojo dans une grotte, précaire mais salutaire, où chacun put se reposer.




Celle-qui-voit avait eu son lot de frayeur. Etash avait besoin de soins. Dakk’ris enrageait à l’idée que les Héritiers eurent été utilisés par les orcs comme de la piétaille, des appâts vivants au même rang que le peau-rose captif. Ils auraient pu tous se faire tuer dans cette diversion, pendant que l’autre groupe visitait la bourgade naine inoffensive. Il était impossible qu’ils n’aient pas entendu plus tôt les appels à l’aide et les hurlements des trolls assaillis par la cohorte naine. Il était insupportable de penser qu’ils n’aient pas immédiatement envoyé des renforts pour les soutenir. Sala’jin n’avait peut-être pas des réflexions aussi tranchées, mais savoir que leur oracle et guide aurait pu périr ce jour-là le terrifiait : il était un protecteur certes, mais il était bien difficile de protéger quelqu’un qui s’avançait au-devant du danger.