Histoire et aventures de Jilanthy

« C’est une petite ». Le troll, quelque peu ému tenait un bébé dans ses bras, encore ensanglanté. Il posa délicatement le petit être sur la poitrine de la jeune mère. Celle-ci transpirait et était essoufflée après l’effort qu’elle venait de fournir.

« On l’appelle comme t’as choisi ? demanda-t-il. »

Le trollesse répondit d’un signe de tête, puis prononça dans un souffle, en serrant la petite contre son sein :

« Jilanthy elle va s’appeler. »

Puis tournant la tête, elle se rendit compte que plus loin, le bruit avait cessé. La tigresse avait mis bas. Elle interrogea son mâle du regard. Celui-ci se leva et sortit de la hutte. Il revint un peu plus tard :

« C’est un p’tit mec. »

La trollesse sourit, ferma un instant les yeux, reprenant quelques forces puis se leva. D’abord chancelante, elle sortit de la hutte, nettoya la petite qui se mit à pleurer puis se dirigea vers un arbre. A l’ombre de celui-ci était couchée une tigresse au pelage roux rayé de noir. Elle leva la tête à l’approche de la trollesse. Celle-ci se mit à genoux et lui caressa la tête :

« On est devenues mères en même temps. Nos deux enfants, ils vont grandir ensemble. »

Quelques années plus tard, Jilanthy était devenue une petite trollesse dynamique. Elle était toujours flanquée d’un grand tigre. C’était son jumeau, mais il avait déjà sa taille adulte. Elle dormait souvent avec lui et ses parents, à la belle étoile. Elle préférait même leur compagnie à celle de ses semblables. Même s’ils recevaient peu de visite, à chaque fois, les trolls ils parlaient toujours de guerre, ils parlaient toujours de la Horde qu’elle ne connaissait pas. Ses parents voulaient qu’elle devienne une prêtresse mais elle, elle voulait devenir une tigresse. Elle se sentait peu concernée par la guerre, ça se passait loin d’ici.

Un jour, la famille reçut un vieil oncle de son père. C’était quelqu’un qui voyageait beaucoup. Il était sorcier-docteur. Il se dirigea vers la petite avec une petite forme dans ses bras, posé sur un tissu.

« - Tiens ma petite, je t’ai apporté un cadeau. Tu sais que nous les trolls, on aime beaucoup les raptors.
- Oui, mais Jilanthy elle préfère les tigres.
- Je sais oui, je sais. Mais moi, je vais t’offrir un bébé raptor, tu vas en prendre soin, hein ? »

Il posa le bébé raptor sur le sol. Celui-ci ne pouvait pas encore marcher, mais ses petits cris et sa petite taille fit grandir les yeux de la petite. Alors qu’elle dirigeait sa main pour caresser la tête, le vieux troll lui saisit le poignet :

« Non, ne le touche pas, sa peau est enduite de venin. Avant, il faut que tu sois immunisée, et c’est moi qui vais le faire. »

Le sorcier-docteur prépara le rituel, prenant un peu de venin de la peau du raptor. Avec forces prières, il prépara une concoction qu’il fit avaler à Jilanthy. Elle fut malade plusieurs jours, durant lesquels son frère le tigre lui tint compagnie.

Puis, remise sur pied, elle eut droit de toucher le bébé raptor. Elle était immunisée contre le venin :

« - Jilanthy, elle va l’appeler Jibjib, et avec mon frère, on lui apprendra à chasser.
- Ton frère, demanda le vieux troll ? en souriant. »

Il vit ensuite le tigre et éclata de rire. Il se souvenait que les deux avaient grandi ensemble.

Ils l’avaient tué. Ils avaient tué son frère. Elle était maintenant une jeune adulte. Ses parents étaient morts à la guerre, loin dans le Nord. Par chance, ils avaient pu ramener les corps, et pas finir en créatures de Zanzil, des morts qui marchent. Et après, elle avait rencontré une trollesse, qui l’avait formé et maintenant, elle pouvait elle aussi se transformer en tigre. Sauf que elle, elle était bleue, et pas rousse, et en plus des canines, elle avaient deux défenses qui remontaient. Là, elle avait appris à chasser en toute discrétion.

Mais maintenant, il était mort, il avait été chassé pour sa peau. Elle se mit en quête des chasseurs. Elle les repéra au bout d’un moment. Ils avaient monté un campement. Des têtes de sangliers à la peau verte. Ils étaient trois. La dépouille de son frère gisait au milieu, par chance, ils n’avaient pas encore commencé à le dépecer, mais ça n’allait pas tarder.

Trop occupés à fêter leur victoire contre le tigre, ils ne virent pas les yeux jaunes qui les observaient. L’un d’eux sortit un couteau et se dirigea vers le cadavre du tigre. Les deux autres eurent à peine le temps de voir une forme bleue passer et traîner leur compagnon dans les bois, ils n’entendirent que des grognements et ses cris qui s’arrêtèrent soudainement. D’abord tétanisés, ils se ressaisirent et empoignèrent leurs armes. L’un s’arma d’un arc et encocha une flèche, l’autre se saisit d’une hache à deux mains. Ils se dirigèrent vers l’endroit d’où étaient venus les bruits et au bout de quelques dizaines de mètres, ils virent le corps de leur compagnon, gorge ouverte et un trou béant dans la poitrine.

Affermissant leur prise sur leurs armes, ils regardèrent autour d’eux, mais aucune piste n’était visible, et surtout, aucun bruit. Ils retournèrent à leur campement, et avant qu’ils n’aient eu le temps d’établir une stratégie, ils virent un félin bleu bondir sur eux. D’un coup de griffe, il égorgea l’orc armé de l’arc puis éventra l’autre d’un coup de ses défenses.

Ce dernier tomba au sol, encore vivant. Se tenant le ventre, il vit le félin se transformer en trollesse. Elle le fixa. Son regard lui glaça le sang. Il se sentait comme une proie prise au piège. Voulant faire bonne figure, il arriva à prononcer :

« - Hey, on est frère et sœur de la Horde, pourquoi tu nous as attaqué ?
- Toi et tes potes, répondit-elle en orc avec un fort accent, vous avez tué mon frère le tigre, et je venge sa mort. Toi, tu vas voir ce que je fais à ton pote, et je vais te faire la même chose. »

Sortant une coupe, elle la remplit du sang qui coulait de la gorge de l’orc mort. Puis, sortant un poignard, elle ouvrit la poitrine et en arracha le cœur. Elle mordit dedans à pleine dents sous le regard horrifié de l’orc et le mangea entièrement. Puis, elle vida la coupe d’une traite. Se relevant, elle fit face de nouveau à l’orc, le bas de son visage couvert de sang, son regard froid de prédatrice fixant les yeux de sa proie. Il la vit se mettre à califourchon sur lui et lever son poignard. Il sentit d’abord une piqûre au niveau de la gorge et sentit son sang couler sur le côté, là où elle plaça la coupe, recueillant le breuvage rouge.
Et alors que la vie le quittait, il sentit une grande douleur dans la poitrine et une main saisir son cœur. Enfin, ce furent les ténèbres.

La trollesse se releva, ayant fini son festin. Elle se tourna vers le corps du tigre, et s’agenouilla à côté de lui. « Je vais faire comment sans toi maintenant ? La vie, elle sera pas pareille. ». Se tournant vers les bois, elle siffla. D’un pas leste, un raptor sortit et s’arrêta, regardant le spectacle. Puis, avec un petit cri, il sautilla vers le tigre et baissa la tête, donnant des petits coups avec sur le tigre, comme pour le réveiller. Puis, il la releva et regarda la trollesse :

« Il est mort Jibjib, on va le ramener à la maison et l’enterrer. Tu voudras bien le porter ? »

Le raptor se coucha alors à côté du tigre. Jilanthy eut du mal à mettre le corps du tigre sur le dos de Jibjib, mais au bout de plusieurs tentatives, y arriva.
Puis tout deux se mirent en route vers la hutte qu’elle habitait, celle où elle était née.

La forêt était calme. Les feuillages se rejoignaient et cachaient le soleil, ce qui apportait un peu de fraîcheur malgré la saison. Entre les loups et les chouettards, à peine visible, un félin de couleur bleu virant sur le turquoise à certains endroits se déplaçait silencieusement. Les créatures ne l’entendaient pas et ne la voyaient pas. On lui avait parlé d’une tribu de trolls verts pas méchants contrairement à ceux qu’elle avait rencontré dans les plaines d’Arathi, plus au sud. Elle avait voulu engager la conversation, mais ils l’avaient attaqué à vue. Le félin s’arrêta, se mit hors de vue de tous, contre un arbre et se transforma en magnifique trollesse (Elle avait été Miss Sombrelance de l’an 28, élue à l’unanimité par un jury de vieux trolls aveugles). Elle s’appelait Jilanthy.

Elle était vêtue d’une tenue de voyage en cuir marron rapiécée, un poignard à sa ceinture. Elle siffla doucement et un raptor apparut, sortant des ombres des bois. Il s’approcha et s’arrêta à sa hauteur. La trollesse en retira un sac de voyage, s’assit contre un arbre en posant le sac à côté d’elle. Elle farfouilla dedans et en sortit un morceau de viande séchée. Elle mordit dedans et mastiqua sans grande conviction, apparemment, elle mangeait parce qu’il le fallait. Et elle repensa à ce qu’il s’était passé quelques jours plus tôt.

Elle avait aidé les Morts-qui-marchent. Elle aimait pas leur truc vert qu’ils mettaient partout, ça rendait la viande pas bonne, elle trouvait qu’ils sentaient pas très bon, et elle était pas tenté d’en manger un, même pas sûr qu’il y ait suffisamment de viande dessus de toute façon. Par contre, elle aimait beaucoup les montures volantes qu’ils utilisaient, des grandes chauves-souris. Elles étaient belles, sauvages, comme elle quoi.

Après, elle avait été dans un campement tenu par les têtes de sanglier à peau verte, les orcs ils se faisaient appeler. Et c’est par une ballade près d’un lac qu’elle avait rencontré les trolls verts. Elle était toute contente. Elle s’était dirigée vers l’un d’eux, toute confiante, et on peut dire qu’elle n’a pas été très bien reçue :

« Sale traîtresse bleue, lui avait craché à la figure le troll, toi t’es avec la horde, ces sales peaux vertes et ces sales elfes, retourne dans ta jungle ! »

Alors qu’il saisissait son arme, il eut un instant d’hésitation. En effet, Jilanthy s’était mis à le regarder bizarrement. Elle avait penché la tête sur le côté, ses yeux étaient devenus jaunes et avaient une lueur malsaine, comme bestiale. Elle n’avait pas trop apprécié l’accueil qu’il lui avait été fait. Sans même prendre le temps de se transformer, elle sauta à la gorge du troll, plantant ses défenses dans le cou. Celui-ci tomba à terre, la trollesse sur lui. Et elle ne bougea plus, elle l’étouffa , les yeux fixes. Puis elle retourna au camp de la Horde. Elle se lava le visage, et sentant l’odeur de nourriture, elle se dirigea vers l’auberge. Elle rencontra le cuisinier qui s’affairait pour le repas. Lorsqu’il la vit, il fit un peu la moue :

« - J’espère que vous allez me laisser le temps de cuisiner cette fois, et pas tout manger comme hier.
- Pas d’inquiétude, Jilanthy elle va pouvoir tenir, répondit la trollesse.
- Hum, tout va bien ? A votre tête, il y a quelque chose qui vous turlupine.
- Y a des trolls verts au sud. Jilanthy, elle a voulu aller leur parler mais ils ont attaqué.
- Ah, les Fânécorces oui, ils n’aiment pas la Horde.
- Mais tous les trolls verts sont comme ça ?
- Non non, il y a une tribu, loin au Nord, dans les Hinterlands, après la grande forêt, proche de la mer. Ce sont les Vengebroches et ils sont amicaux.
- Ah, j’irai là-bas alors. »
Le cuisinier sourit, et ayant fini de préparer le repas, il sortit une assiette de bois et la remplit copieusement. Il la posa sur la table et invita la trollesse. Elle mangea avec grand appétit, appréciant chaque bouchée. La nourriture ici allait lui manquer.

Oui, la nourriture lui manquait. Le cuisinier lui avait donné de la viande séchée pour le voyage, étant désolé de ne pas lui donner quelque chose de meilleur à manger. Après avoir fini son repas frugal, elle se reposa un peu puis reprit sa route, en forme de félin, dans les ombres, suivi par son raptor Jibjib. Au bout de quelques temps, elle se retrouva en haut d’une falaise, sortant de la forêt. Reprenant sa forme de troll, elle regarda au loin. C’était la mer. Jibjib la rejoignit et se tint à côté d’elle. Observant les alentours, elle aperçut un chemin sur la droite qui descendait. Montant sur le dos de son raptor, elle entreprit la descente.

Et enfin, elle arriva au village troll. Deux gardes étaient en poste devant l’entrée. L’un d’eux se tourna vers elle :
« - Salut Frangine, on peut savoir ce qui t’amène ici ?
- La découverte de frères des forêts, faire connaissance tout ça. Vous au moins, vous attaquez pas comme les Fânécorces.
- Ha ha, non, et on est p’t’être les seuls, et les Fânécorces, ils sont gentils à côté des Vilebranche qui traînent dans la région. Soit la bienvenue ma sœur, et installe-toi. »
Jilanthy remercia le garde et entra dans le village. Elle se sentit bien tout de suite. Ce village avait quelque chose de reposant. Elle allait bien se plaire ici.