Shai'ri
 |  Sujet: Le Rituel  Dim 13 Sep 2020 - 21:29 | |
| Un bruissement, un craquement et elle tourna la tête.
Il était revenu.
La jeune Trollesse glissa d'entre le feuillage fourni de la Jungle pour venir observer celui qu'elle attendait, assise.
Il était là, il se tenait bien droit. Sa peau blanche était maculée de sang.
Le sien ?
Elle retint son souffle.
Non.
Elle baissa son regard pour apercevoir la forme gisante sur l'herbe dense.
Un Monstre.
Plus petit que les Adultes de son espèce, il n'en était pas moins impressionnant pour elle.
Les Griffes plantés dans le sol, il se mouvait avec douleur dans une grimace et un grognement effrayant, dévoilant sa dentition carnassière.
Les callosités de son corps semblaient pointues et dans son imaginaire à elle, sûrement tranchantes.
Malgré cela, il semblait chétif comparé à son conquérant, comme un Ravasaure face à un Diablosaure.
Elle redressa alors son regard pour venir détailler le prédateur.
Grand et imposant, la peau pâle et la crinière chenus longeant sa colonne vertébrale, il était vieux mais n'avait rien perdu de sa superbe.
Son visage inspirait autant la crainte que le respect.
Ses traits étaient durs, forgés par le temps et l'expérience, ses défenses en étaient roussies.
Son regard d'une pâleur perçante ne vibrait pas malgré la situation.
Dans ses souvenirs à elle, il n'avait jamais vacillé lors d'un combat, il n'avait jamais hésité, toujours, il portait le premier coup.
Son père.
Elle, plus petite et menue, caressait le doux espoir d'avoir héritée de sa puissance.
Elle allait encore grandir, elle le savait, elle le sentait dans ses tripes.
Bien que son corps se modifiait, elle n'arrivait pas à situer son âge.
Dans la Jungle, il lui était difficile de compter les années écoulées.
Cinq printemps ? Six printemps peut-être ? Peu importe, ce n'était pas cela qui ferait d'elle une adulte accomplie.
- Les Drakkaris, ils sont fiers et cruels. La peur, ils la connaissent pas.
Son cœur se serra. Les paroles résonnaient encore, presque indéfiniment.
Tout comme les cris, les pleurs, le fracas assourdissant.
Elle ferma les yeux et fit place au passé.
__
L'odeur âcre parvenait une nouvelle fois à ses narines.
Quatre Printemps.
Les Morts s'étaient levés.
La terre tremblait et, de son regard de petite Trollesse, tout paraissait immense et sombre.
Un sentiment constant lui écrasait le ventre. De la peur ? Sûrement.
En avait-elle honte ? Oui.
Elle était perdue. Zul'Drak était perdue.
- Les Loas, ils nous ont abandonnés !
Les Murs des édifices se fissuraient, les poutres s'effondraient, tout cela semblait durer une éternité. Le bruit était fort, beaucoup trop fort pour les oreilles d'une petite.
Elle était accroupie, les yeux écarquillés, il ne fallait pas qu'elle le lâche.
Qui ça ?
Elle fronça les sourcils en balbutiant quelques mots inaudibles, alors que la chaleur de la jungle caressait sa peau. Au loin, un crapaud se jetait à l'eau au moment où le souvenir souleva le rideau de brume qui obscurcissait son esprit.
Za'buni, son petit frère. Elle lui serrait la main avec fermeté.
Elle voulait le rassurer, lui dire qu'ils n'avaient rien à craindre, que, après tout :
-les Drakkaris, ils sont puissants et forts et, eh, si t'as peur, ton Loa, il va te dévorer !
Mais elle ne pouvait rien dire, la gorge serrée par la main de l'effroi, elle ne pouvait plus parler.
Son regard croisa le sien.
Et elle comprit.
Le petit Troll était enseveli sous des gravats. Sa peau bleutée semblait nervurée de traces violettes.
De ses Cheveux habituellement azur, s'écoulait un épais liquide rouge vif et un trou béant dans son ventre laissait entrevoir ses organes pâles et déchirés.
Son regard vide paraissait plongé dans celui de sa sœur, ses lèvres étaient sèches, ses petites défenses tout juste en pousse étaient craquelées.
Combien de temps s'était écoulé ?
Elle n'en savait rien.
La main fermée sur les doigts glacés du Trollion, elle leva le regard.
Le Décor avait changé.
Surprise, elle le constata dans un mouvement de recul qui la fit tomber sur ses fesses.
Tout était si sombre.
Mais elle pouvait la voir.
Une grande silhouette habillée de maille d'or venait d'empaler un de leur prophète.
Avec terreur, elle en aperçut une deuxième. Puis une Troisième.
Vision d'horreur et elle sentit ses muscles se tendre sous sa peau fine d'Enfant. En plus d'être grandes et armées jusqu'aux dents, leurs yeux brillaient dans la pénombre.
___
S'oubliant dans son passé, un gémissement étriqué la tira dans la réalité actuelle.
Le Monstre essaya de s'extirper de la liasse d'herbe qui l'entourait.
Ses grandes pattes aux griffes acérées étaient brisées, fracturées, du fémur au tibia. Ses chevilles paraissaient être montées sur des billes tellement elles étaient désarticulées.
Ses bras semblaient avoir subi le même sort tant ses coudes n'étaient plus à leur emplacement initial.
La jeune ne vacillait pas. Loin de là l'idée que la vue de ce Monstre agonisant l'enchantait, mais à présent, elle devait se reprendre en main.
Ce n'était pas la première fois.
Et si, aujourd'hui, elle échouait, ce ne serait pas la dernière.
Son père l'observait. Elle savait ce qu'il attendait d'elle.
Jamais encore, elle n'avait tuée. Elle s'était déjà battue avec hargne mais elle n'était pas non plus une grande adversaire ou Chasseuse et n'a jamais su abattre l'une de ses proies.
Elle trouvait cela beaucoup trop compliqué, comme si une barrière constante l'en empêchait.
Finalement, était-elle vraiment prête à devenir une adulte ?
Une voix grave et graveleuse la sortit de ses songes soudain.
-Senua. Maintenant. Fais-le.
Dans un souffle, elle se redressa pour venir empoigner la lame qu'elle gardait à son bras gauche.
Rapidement, elle le chevaucha, chaque jambe du côté du corps du Monstre, à califourchon, et releva la lame au-dessus d'un visage des plus effrayant qui lui tordait le ventre et faisait trembler son cœur.
Et, dans un court instant, elle croisa son regard débordant de haine et de peur.
Une floppée de questions lui parvient aux lèvres.
Que se passerait-il après ça ?
Serait-elle définitivement affublée d'une responsabilité qu'elle ne désirait pas ?
Était-ce vraiment la seule solution qui s'offrait à elle ?
Silencieuse, ses deux mains tenant l'arme, elle prit une grande inspiration.
Elle se sentait condamnée dans la Jungle de Zandalar où elle avait pour seule compagnie son père.
Et l'ambition de celui-ci.
Il la destinait à de grandes choses comme il aimait le dire.
Elle déglutit.
Partirait-elle un jour ?
-Zul'Drak, tu la rebâtiras à l'aide de ta bravoure, de ta détermination et de ton ventre.
Encore.
Était-ce qu'elle voulait ?
Bien sûr. Elle ne devait pas en douter, elle n'en avait pas le droit.
Son regard et sa tête chutèrent dans une constatation qui lui donnait mal au ventre.
Vivre était une chance parait-il
Une douleur vive la ramena brutalement à la réalité.
Il avait planté ses crocs dans le muscle de son cou. Elle sentit sa chair se déchirer et un liquide chaud recouvrir sa poitrine naissante. Un cri s'étouffa dans sa gorge alors qu'elle lâchait sa lame pour repousser avec force le buste du Monstre.
Un coup, un seul, et il s'écroula au sol, le regard éteint et figé.
Tout en portant une main à son cou, c'est un regard humide qu'elle releva sur son père.
Il tenait une pierre massive. En quelque seconde, elle établit rapidement le scénario.
La pointe de la caillasse était venue embrasser mortellement le crâne de la Bête.
Pas un mot, rien. Ni même un regard. Il lui tourna le dos et attrapa les pieds du jeune Zandalari pour aller le trainer dans les Marais, plus loin, où séjournait une colonie de Dimeurtrodons qui s’assureraient de ne rien laisser derrière eux.
Trop de questions, trop de réflexions, évadée et perdue, elle venait d'échouer son rituel de Passage à l'âge adulte.
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