Songe de nuit d'un troll

Ils ont quitté la terre des hommes-ours.
Et maintenant, ils sont sur cette terre étrange, chaude, sèche. Installés à côté d’un fleuve aux fraîches et paresseuses.
Nag’atai appréciait ce nouvel environnement, même si son armure, typiquement drakkarie, renforcée de cuir et de fourrure commençait à lui tenir bien trop chaud.

Aujourd’hui avait été une bonne journée, de chasse et de travail du cuir. Il était même parvenu à négocier des pièces de cuir à un orc pas très loin à l’aide d’or et de gestes.
Ce soir-là il avait rejoins Ta’ka dans un village plus au sud et l’avait vu se bagarrer avec une étrange orque toute noire.
Un beau combat mais coûteux pour la trolle, le trajet du retour avait été pénible pour elle.
Nag’atai décida de lui préparer une décoction de plantes pour l’aider à se remettre avant de la laisser se reposer.

Assis en hauteur, sur la colline surplombant la berge, il prit le temps de trier et nettoyer son sac, dont le leg de son père.
Deux dagues, anciennes, dans un métal inconnu et toujours terriblement aiguisées. Il testa leur tranchant puis leur capacité à retenir les poisons sur leur fil.
Satisfait, il examina plus avant l’os gravé de runes : il les reconnaissait pour la plupart. Elles formaient une prière qu’il avait souvent entonné pour son Loa.
Enfin il examina le pendentif. Une pierre.
Lisse et noire, sans aucun reflet, attachée à une chaîne d’or.
Mais cette pierre sombre avait quelque chose de fascinant, il avait l’impression de tomber à l’intérieur, comme s’il elle aspirait son attention.

Soudain, il sursauta.
Un serpent, blanc se tenait juste devant lui, ses deux yeux d’un noir abyssal braqués sur lui.
Il resta un moment, en face à face avec l’animal, sans oser bouger.
Après ce qui lui semblait une éternité, il se risqua à tendre la main pour le toucher mais il ne l’atteignit jamais. Ses doigts passèrent au travers des écailles, lui administrant une violente décharge qui le fit reculer et lâcher le pendentif.

Plus de serpent.

Secouant sa main engourdie, il balaya son environnement, cherchant à retrouver l’animal.

Rien.

Haussant les épaules, il se pencha pour ramasser le pendentif et le vît de nouveau.
Le reptile n’avait pas bougé, simplement disparu lorsque Nag’atai avait échappé le bijou.
Il sourit au serpent et passa le pendentif autour de son cou.
« Viens avec moi alors, avatar du Loa. Partage un peu de mon chemin. »
Il partit vers le fleuve en sifflotant, le serpent blanc glissant derrière lui en silence.

Nag’atai se présente à temps, devant Cabestan, la caravane est là.
Une longue rangée de Kodos, chargés de marchandises attendent patiemment, entourés d’orcs et de nombreux taurens.
Un gobelin, à la tête du groupe hurle des ordres afin d’activer les grunts et les hobgobelins qui chargent les dernières caisses.
Il échange quelques mots avec le troll le renvoyant d’un ordre sec vers l’un des kodos en fin de convoi.
Enfin, la colonne se met en marche, le troll marche à leur côté en silence.

Nag’atai retrouve Taurakhan, le tauren avec qui il avait parlé à Cabestan puis qui l’avait entraîné dans ce voyage.
L’homme-taureau, un guerrier grand et massif au poil brun et au sourire facile. Il l’accueillit avec un sourire et une tape dans l’épaule à briser des os, visiblement heureux de l’avoir convaincu.
Il resta avec lui tout le trajet, l’un grognant quelques mots en orcs, l’autre essayant de se faire comprendre avec quelques mots en troll et beaucoup de bonne humeur.

Nag’atai était content, son ami tauren était très bavard et démonstratif mais savait respecter son besoin de solitude et de silence.
Les soirées autour du feu, chaque soir était très plaisante, Taurakhan faisait de son mieux pour lui apprendre l’orc tout en apprenant un mélange bâtard de zandali et de drakkari auprès de Nag’atai.

Les discussions furent tout de même grandement facilitées avec l’arrivée d’Uhrmogaar, un chaman orc parlant couramment zandali.
Ce dernier chevauchait un vieux worg de guerre grincheux et méfiant mais ça ne dissuada pas Nag'atai, fasciné par la créature. Il fit promettre au chaman de l'aider à acquérir un loup aussi.

Enfin, ils arrivèrent, les Pitons-du-Tonnerre, la ville taurène.

Et deux yeux, lumineux, d’un bleu sinistre, fixes.
Ce regard terrifiant qui hante ces cauchemars depuis ce jour terrible où il a basculé de l’autre côté.
Une boule de terreur éclate dans ses entrailles.
La peur le paralyse, il sent à peine la lame transpercer sa chair, seulement ses genoux heurtant le sol.
Ses yeux se ferment alors qu’il plonge dans les ténèbres.

Nag’Atai.

La voix résonne comme un écho lointain.

Nag’Atai !

Il ouvre les yeux, un troll se tient devant lui, dans la neige. Un troll au regard luisant. Cette lueur glaciale des chevaliers-cadavres du Roi des Morts.

- Père, murmure-t-il, qu’es-tu devenu…
Le troll sourit, sans chaleur, ses yeux fixes et vides braqués sur lui.
- Tu le sais, tu étais là. Tu es mort, comme moi, et tu as été relevé.
Nag’Atai reste silencieux, il se souvient. La bataille, les morts… sa mort, et le chevalier en armure noire qui les as relevés, tous.
- Pourtant, je ne suis pas un mort-qui-marche.
- Non. Le Loa t’a protégé de sa marque, au prix de ma vie.
- Et mère ?
Le fantôme soupire, d’abord sans répondre.
- Elle n’est pas de mon côté, fils. Il t’appartient de la retrouver, pour moi il et déjà trop tard.
Le vent se calme alors, le silence s’installe, oppressant.
- Tu dois y aller maintenant, la terre des âmes ne convient pas aux vivants. Va, mon fils, suis le chemin du Loa.
Lorsqu’il ouvre à nouveau les yeux, il est allongé dans une tente, un feu crépitant au centre. Son corps est douloureux, sa jambe le démange.

La douleur lui arrache une larme… puis un sourire, il est en vie et, une fois encore, il a défié la mort.