Boule de feu gangréné

Acrae se rafraichissait sur les rivages de Sen'jin quand elle entendit les cris de stupeurs provenant du cœur du village. Elle sortit de l'eau au pas de course pour rejoindre les siens qui se regroupaient avec agitation sur la place centrale. Certains pointant d'un doigt le ciel azur là où une déchirure ondulante et rougeoyante venait d'apparaitre. L'espace sembla se tordre durant plusieurs minutes et s'élargir en laissant entrevoir des étoiles dans l'atmosphère chaude de fin de journée.

Puis elle apparut. L'immense boule de feu verdâtre irradiant comme une roche stellaire morcelée de magma en fusion. Un vent fort inhabituel souffla sur la région, tandis que tous les trolls autour d'Acrae gardaient leur regard rivé sur les cieux, hypnotisés par ce prodigieux cataclysme, par cet inconcevable calamité suspendue au dessus de leurs têtes pétrifiées.




Trois jours après l'étrange apparition céleste


L'énorme lune verte n'avait pas bougé et chacun restait dans l'insoutenable doute de savoir si elle allait s'écraser sur eux, ou exploser dans un souffle annihilateur, ou encore si elle allait déverser d'innombrables forces destructrices sur Azeroth, tel un nid de guêpes bourdonnant prêt à craquer.

Maître Gadrin avait pris les initiatives, organisé les défenses et les préparatifs dans le village pour cette troisième éventualité, la seule contre laquelle ils pouvaient résister et survivre.

Des stocks de vivres de viande et poisson séché devaient être constitués au cas où la faune et la flore des régions alentour seraient à nouveau polluées par l'infecte magie gangrénée. On avait envoyé des chevaucheurs de chauve-souris à Orgrimmar pour cordonner les préparatifs et prendre des nouvelles du front, sur les Îles Brisées.

Tous les trolls en âge de combattre, dont la jeune chasseresse à crète blonde, devaient préparer leur matériel et se tenir prêts à affronter des invasions de démons, comme celles qui avaient ravagé de nombreuses régions d'Azeroth il y avait presque un an jour pour jour. Des trolls se relayaient pour patrouiller sur les larges bandes de terre arides allant de la mer aux Tarides, guettant l'émergence de failles démoniaques et de leurs navires de fer volant crachant les armées Ardentes.

De son côté, Celle-qui-voit était rarement à sa hutte. Elle passait la majorité de ses nuits au sommet de la colline proche et Azsaji lui portait régulièrement de quoi la désaltérer. La vieille trollesse semblait observer l'étrange phénomène mais en réalité elle lisait les étoiles, examinait leur position ainsi que le mouvement des lunes. Encore quelques jours d'examen et elle pourrait établir avec certitude que l'immense astre verdoyant n'approchait, ni ne s'éloignait d'Azeroth.

Tandis qu'elle guettait les cieux, ses pensées bouillonnaient. Jusqu'à présent les armées et héros d'Azeroth étaient parvenus à contenir la menace sur le front des Îles brisées, mais peut-être l'avaient-ils sous-estimée ? Avaient-ils subi trop de pertes pour repousser les démons et la situation tournait-elle en leur défaveur ?

Quand le temps se couvrait et ne permettait pas d'observer le ciel, la grande prêtresse priait devant l'humble autel en l'honneur du loa oublié et s'endormait d'épuisement, espérant qu'une songerie sibylline lui serait inspirée par le Créateur.

Derrière son masque, il regarde cette étrange planète qui vient d’apparaître et il ne peut que sentir un malaise viscéral face à elle.
Détruite en partie, des débris volant autour d'elle, il arrive à voir à l’œil nu les crevasses nimbées de flammes vertes qui parcourent cet astre. Pire encore, une gigantesque dépression creusant la planète lui donne par moment l'impression de voir une bouche qui n'attend qu'une opportunité pour se tourner vers eux et les dévorer.

Dans le village de Sen'jin, des trolls de tous âges s'activent, aidant comme ils peuvent en prévision d'une attaque démoniaque, seule explication possible vu l'apparition dans le ciel. Après s'être assuré qu'Acrae et Wa'ai soient en sécurité, il prit lui aussi la décision d'aller vérifier chez lui qu'il n'y se passe rien de grave.

Malgré les événements, il sait bien qu'il y a une chose qui ne changera jamais c'est un gobelin qui parle affaire. Le prix de la traversée en zeppelin fut plus chère que prévu mais au moins il a pu rejoindre Strangleronce.

Jilanthy avait rejoint Sen'jin. Même si elle n'aimait pas trop quand il y avait du monde, en tant que Sombrelance, elle se devait un minimum être présente.

Tous les matins, en forme de tigresse, elle sortait de la hutte dans laquelle elle se reposait, et la première chose qu'elle faisait, c'était fixer la grosse boule verte en feulant et crachant.

Elle en avait peur, c'était sûr, et comme tout animal sauvage qui se respecte, quand on a peur, on veut attaquer. Parfois, on pouvait la voir donner des coups de pattes dans le vide, comme si elle essayait de griffer la planète importune.



D'un autre côté, un troll vert massif regrettait presque d'avoir quitté sa forêt, au moins, la sphère gangrenée aurait été cachée par les arbres. Mais il resta près de la Grande Prêtresse. Il resta pour la protéger si jamais une attaque survenait.

On pouvait quand même l'entendre marmonner parfois : "Le monde il part en testiboules de crocillisque..."

Il regardait souvent Argus avec un air de défiance mélangée à de la crainte. Il n'était pas à l'aise, et il n'était pas le seul. Son lynx crachait souvent, et son ours était encore plus bougon, grognant de plus en plus.

La cime violette des arbres majestueux d'Orneval couronnaient les cieux, leurs feuilles couvraient le sol, et le soleil couchant illuminait les lieux d'une douce lueur pourpre.
Thae'din sentait l'odeur de lavande qui émanait des cheveux de sa fille, blottie contre elle. Assise sur ses genoux, elle jouait avec de petits morceaux d'écorce, son rire sonnant comme le doux son d'une clochette, des sourires illuminant son visage dès qu'elle se tournait vers sa mère.
Ils étaient dans une clairière a l'écart des villages, un lieu caché et secret où on lui permettait de voir sa fille, ainsi que le père de celle-ci. Ils étaient seuls pour un temps alloué, un temps sacré, un moment figé dans le temps.
Au delà du bosquet, les chants de prière des elfes s'élevaient, bouillant de foi, d'espoir, et de tristesse. Les voix leur parvenaient étouffées, et se mariaient avec le calme ambiant.

Trop calme.
Thae'din et son compagnon le savaient bien, quelque chose se préparait. Si les oiseaux chantaient, c'était par des piaillement de détresse, les mammifères des sombres bois elfes, les loup et les ours, sortaient a peine, et les plus petits animaux se terraient.
Mais la petite Hei'a faisait tout pour égayer l'humeur sombre de ses parents.

Lorsque la masse immense apparue parmi les étoiles, Thae'din se leva sans lâcher Hei'a désormais endormie, la serrant contre son coeur, elle regarda Adraboran qui demeura impassible comme à son habitude, mais son regard était intense, et ses poings serrés.
Le colosse passa son bras autours des épaules de Thae'din dans une attitude protectrice. Ils échangèrent peu de mot, conscient des enjeux, du danger, et de la Forêt qui pleurait autours d'eux.
Ils restèrent ainsi une partie de la nuit.
Peu avant l'aube, Thae'din du partir. Ni l'un ni l'autre n'oublierait l'odeur, la texture de la peau, celle des cheveux, la lueur dans leurs yeux, ni les sourires ou la voix, figés dans leur mémoire comme un tatouage gravé sur la peau.


La trollesse plaça sa fille entre les bras puissant de l'elfe.
Lui veillerait sur leur enfant, sur la Chef de son clan, et sur les Terres elfes.
Elle retournerait auprès de sa nouvelle tribus, auprès de la Prêtresse et de ses frères et soeurs, et elle défendrait les Terres Trolles.
Thae'din colla son front sur celui de l'enfant endormie, puis sourit a Adraboran, un sourire mêlant Amour et Volonté, un sourire d'Adieu.
Elle se fondit dans l'ombre des arbres, sans se retourner.

L'ombre d'Argus sembla la suivre tout au long de son voyage, Oeil brûlant, vomissant des larmes de feu sombre. Une menace auquel on ne peut échapper.