Je veux rentrer à la maison.

Les racines des buissons épineux fouettaient vivement ses petites jambes alors qu’elles couraient à plein Poumon, essoufflée.
La panique qui prenait toujours plus possession de son corps semblait l’espace d’un instant la faire voler, la rendre plus légère.

Elle les entendait.




Derrière elle, les branches se brisèrent sous leurs poids, cri d’agonie qui faisait vrombir son cœur sous l’effroi qu’elle ressentait s’immiscer dans son corps et glisser dans ses veines comme du sang trop froid, prêt à raidir ses membres à tout moment.
Dans les ténèbres intenses qui l’entourait, elle ne reconnaissait rien.
Disparue la Jungle luxuriante qu’elle connaissait si bien.
Disparu le cri rassurant des Haches-Becs qui bichaient sur la branche d’un Arbre, craquetant leurs gros Becs contre l’écorce des Arbres.
Il n’en restait qu’un amas de verdure embourbant et les branches griffues des Arbres menaçant.
Sa poitrine se soulevant toujours de plus en plus sous la terreur grandissante, elle contourna rapidement l’une de ses énormes plantes qui s’éveillait la Journée et se nourrissait de tout être imprudent qui s’aventurait bien trop près de la Fleur odorante.
Le chemin de pierre, il fallait qu’elle le trouve.

La vue obstruée par la noirceur de la nuit, elle comptait sur ses petits pieds pour repérer les dalles glacées qui la mènerait jusqu’à la citée dorée.
Alors qu’elle se sentait prendre de la distance avec les Grognements qui se balançaient entre les silhouettes des Arbres, elle s’arrêta, cherchant à faire disparaître la douleur embrasée qui irradiait ses jambes fatiguées.
Les bras serrés sur son ventre, elle se pencha doucement et s’accroupie dans un sanglot discret, laissant ses cheveux pâles glisser de son épaule pour s’échouer dans le vide.
Elle ne le referait plus. C’est ce qu’elle voulait croire.
Mais au fond d’elle, elle le savait.
Elle savait que ça ne resterait qu’une promesse éphémère qu’elle oublierait sitôt revenu dans le Foyer familial et l’adrénaline redescendue.
Que ce ne serait qu’une question de jour ou encore de semaine pour que le besoin d’évasion réclame son dû et la fasse franchir la limite de ses droits.
Elle se reprenait doucement et, ses mains sur les tempes, cherchait à éclaircir ses pensées parasitées par la gangrène de la peur, les yeux clos.

Ennuyée, elle allait rentrer, comme toujours, et se prendrait un savon sévère par sa Mère qui bavasserait encore et encore les Dangers de la Jungle et la sécurité des murs et de la Pyramide qui fourmille de nombreuses familles Zandalari Portuaire.
Son père se contenterait de lui lancer un regard sombre mais dans lequel elle avait toujours su lire une inquiétude profonde et une part de Honte.
Rouge de cette même honte, elle irait se coucher dans le Hamac à coté de sa petite sœur et la prendrait dans ses bras pour la réchauffer de l’haleine fraîche que Pa’ku souffle la nuit.
Elle s’endormirait et elle cauchemarderait, sûrement à ces Monstres qu’elle a aperçu dans la Jungle lors de son épopée secrète.
Epopée ,pas si secrète en réalité, qu’elle raconterait au petit Matin avant de rejoindre son Père sur le port et tirer les Filets posés la veille au soir.
Filet qu’elle aurait elle-même aiguilletée avec sa petite sœur et sa Mère.
Avant d’embarquer dans l’un de leurs vieux Rafiots et louvoyer entre les Vagues, la tête penchée par-dessus bord, espérant apercevoir Gral, roi des Mers et des fonds marins.



La chaleur des souvenirs d’une routine bien marquée emplie son corps et détendit ses muscles.
Elle expira en se redressant et ouvrit ses yeux pour leurs laisser le temps de s’habituer à l’obscurité, se concentrant davantage sur le froid qui couvrait sa peau au lieu des Bruits qui, peu importe d’où ils provenaient, faisait naître en elle une peur plus que rationnelle.
Alors que son champs de vision s’étendait, perçant presque la nuit, c’est soulagé qu’elle aperçut deux Torches scintiller au loin.
La cité n’était plus qu’à quelques pas d’elle.


Souriante, elle extirpa son pied gauche du fourrée quand soudain, elle sentit un étau froid se resserrer sur sa nuque.

Ses yeux s’arrondirent et son cœur se déchira de peur alors qu’elle plaqua ses petites mains d’Enfant sur les doigts blancs qui se refermaient sur son cou, la pointe des griffes pressant douloureusement sur la peau fine de sa gorge.
Au moment où ses pieds perdirent toute connexion avec la terre Humide de la Jungle, elle compris qu’elle ne rentrerait pas ce soir, qu’elle ne rentrerait plus.
Ses souvenirs faisaient marche arrière dans sa tête et, alors qu’il y’a encore quelques minutes elle ressentait de la lassitude en se rappelant des paroles houleuses de sa Mère et du regard fermé de son Père qu’elle pensait devoir affronter, elle fut surprise d’y ressentir un Amour profond et une tristesse toute aussi intense.
C’est avec le souvenir de l’odeur des cheveux de sa petite sœur qu’elle sentit une lame l’entailler dans une effroyable douleur sur toute la longueur de son ventre, dans un silence de plomb alors que le souffle l’abandonnait.
Ce soir, une Enfant ne s’endormirait plus et n’allait plus rêver.
Demain, une famille serait en deuil.
Les dernières paroles qui s’écoulèrent à ses oreilles furent celles d’une voix Graveleuse et presque sifflante :

-Dans la Jungle, y’a aucune Viande qui se perd.