La fin d'une époque.

"Gan'Zulah et les familles de Ugoki et Yavo réclament le scalp de Jum'sha père.
- Ils n'ont qu'à le prendre, ces serpents. Ça repoussera !
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu comprends très bien...
- Ils n'ont pas le droit ! Il doit me succéder ! J'ai trop donné pour laisser mon héritier se faire exécuter !
- La décision a été prise. Je pensais qu'il était important que tu le saches... Il y a encore des enfants parle-loa pour le remplacer."


En quittant la hutte du prêtre, Wubenash le père était résigné et abattu. Le feu dans le coeur de Jum'ajas brûlait lui d'une colère intense et menacait de consumer la charpente de son habitation par le foyer allumé qui l'enfumait. Même si ses propos sur des hakkaris qui le visaient lui précisément ressemblaient à des mensonges, le doyen refusait d'admettre que son apprenti et petit-fils était un meurtrier. Mais il savait aussi que si le chef Gan'zulah avait décidé sa mort, il n'y avait rien qu'il ne puisse faire. Pogeyan restait silencieux.




La nuit de la fuite de Jum'sha, un incendie avait éclaté. Le feu avait consumé ses liens et l'arbre auquel il avait été attaché. Ce dernier asséchait l'air et menaçait de répandre le feu dans la jungle environnant Zul'Kunda. De crainte que le prêtre n'arrive pas à temps pour éteindre le feu, les Scalp-rouges avaient formé des chaines d'eau pour éteindre les flammes. Ils n'eurent pas le temps de lutter contre les flammes que Jum'ajas était alors déjà sur place, étrangement rapide. Le père de Yavo qui était descendu sur la plage toisait le vieux troll jusqu'à ce que leur regard s'accrochent l'un l'autre. Les yeux du prêtre que laissaient entrevoir les fentes de son masque ne trahissaient aucune émotion. Le parle-loa au tempérament de feu était atrocement froid. A quoi ce père éploré pensait ?

A cette époque, il n'était encore que père. Ses os ne le faisaient pas encore souffrir et il pouvait encore tenir une hache avec assez de vigueur pour abattre ses ennemis. Dans sa solitude grandissante, seul dans sa hutte, les souvenirs affluaient et lui redonnaient le sourire. Lorsqu'il fermait les yeux il revivait ce temps là.

Ils surplombaient un chemin de brousse, certains d'entre eux se tenaient dans les arbres tels des mambas, prêts à se jeter sur leurs nouveaux ennemis verts. Les envahisseurs avaient débarqués en grand nombre. Leur chef était une brute avec une orbite vide et leur bannières arborait un œil sanglant. C'était une époque étrange où les Tribues avaient cessé les combats pour tendre des embuscades toujours plus vicieuses et sanglantes aux intrus verts. Bien qu'ils dépassaient les guerriers Scalp-rouges, Casse-crânes et Gurubashis en très grand nombre, ils n'arrivaient jamais à gagner la moindre escarmouche. C'étaient des temps grisants pour le vieux prêtre et ses lèvres s'étirèrent en sourire vicieux, le même que plus jeune il arborait en observant ces orcs avancer sur le chemin, comme des moutons à l'abattoir.

Le signal est donné, le dirigeant de la troupe poussa un cri semblable à celui d'un raptor, alors les guerriers bleus tombèrent sur les verts depuis les arbres. Des fléchettes et des lances volèrent en tout sens. Les cris puissants que les orcs poussaient étaient autant de mélodies aux oreilles de Jum'ajas, exalté par la puissance de leurs adversaires contrastant avec leur détresse soudaine. D'un geste vif, sa hache ouvrit le torse de celui qui se tenait devant lui. Il fera un parfait sacrifice. Se tenant bien haut, plus haut que l'orc, il le tint par son harnais et plongea sa main dans la plaie béante, fouillant entre ses cotes. La douleur fit perdre à l'orc la force de se défendre, se tordant. Il ne fallu par longtemps au prêtre pour comprendre que les verts sont fait comme les autres et une fois qu'il mit la main sur son palpitant il entreprit de l'arracher du corps encore battant.

Le vieux prêtre se tenait debout devant le feu de sa hutte, tenant un adversaire invisible et levant haut au dessus de sa tête un coeur qui n'était pas là.

Le jeune prêtre offrit à cet instant un sacrifice à Pogeyan et se mit à chanter une litanie zandali pendant que ses camarades poursuivaient le carnage autour de lui. Peu à peu chacun le rejoignirent dans son chant terrifiant dont les percussions étaient les coups de massues et de haches sur des os qui se brisent et dont les chœurs étaient des cris de souffrance. Un cercle de feu entourait l'escarmouche, interdisant aux orcs fuyards de la traverser tant sa chaleur les consumeraient en un instant.




Le vieux prêtre se tourna vers la pile de crânes orcs qui depuis lors étaient posés dans un coin de sa hutte, tous blanchis pour décorer son intérieur. Il ne se souvenait plus du nom de ses camarades, peinait parfois à se souvenir de quel jour c'était mais cette puissante extasie du combat, elle faisait encore vibrer son cœur.

Un groupe de trois Scalp-rouges sont venus me chercher ce matin à la hutte de Wa'ai. La proximité de trolls potentiellement hostiles à ma personne et par extension à la prêtresse me tends au plus haut point. Une prière silencieuse, prêt à retourner les flammes de leur propre loa à mes semblables pour sauver mon aînée... Seul l'un d'eux approche. Nous avons à peu de choses près le même âge, mais nous n'étions pas camarades.

"Zufem.
- Jum'sha."

Il me toise, comme s'il jaugeait ses chances contre moi... Ou alors suis-je paranoïaque..? Je ne baisse pas ma garde, tendu comme la corde d'Ura'coran.

"Qu'est-ce que vous me voulez ?
- Ils veulent te parler, c'est à propos de Jum'ajas. Ton frère t'en parleras mieux que moi."

Zufem prit un air grave, le sujet semblait grave... Mon cœur se resserre en comprenant que derrière lui, à coté d'un guerrier plus grand se tenait mon jeune frère Tzelkuk, aussi ravi d'être là que moi. Le fait qu'il porte un masque fait dresser les cheveux sur ma nuque. L'image qu'il m'évoque, masque et visiblement hostile à moi me rappelle la relation que j'avais avec Igazi. Il doit aussi penser que je l'ai laissé tomber et doit m'en vouloir énormément. Pour Igazi je comprenais, mais lui ne m'a jamais donné l'occasion de me défendre...
Je jette un dernier regard en direction de Celle-qui-voit, inquiète. Je porte la main sur l'amulette dont elle m'a fait cadeau et lui fait signe de tête, tentant de tout mon être de paraître serein. L'échine dressée comme un félin enragé n'a pas du aider à la convaincre... Mais j'emmène les trolls loin dans les Tarides.

Le soir venant, nous nous asseyons autour d'un feu. Tzelkuk avait prit un point d'honneur à l'allumer lui-même utilisant des outils. Je n'aurai pas fais autrement... Le silence règne pendant que Zufem et Rakash nous observent, attendant de voir qui va céder en premier. Il ne s'était pas démasqué et je voyais son regard à travers les fentes. Le marron flamboyant que nous partageons. S'il pouvait lancer des éclairs par les yeux, il le ferait. Je distingue ses mâchoires serrées, il ne va pas se décider...

"Tu devais me parler de Jum'ajas?
- Il est mort."

La nouvelle me frappait comme une massue. Même si je le savais vénérable et que ses jours étaient comptés, ce genre de nouvelles arrivent toujours trop tôt. On ne s'y prépare jamais vraiment. Je devais savoir comment et me maitrisait le plus possible pour ne pas laisser ma voix craquer.

"C-comment il est mort ?
- Dans son lit après une démence qui aura duré 6 mois. Il ne reconnaissait plus personne. Il ne se rappelait que de Gea'me et toi. Il demandait après toi. S'inquiétait de savoir que tu avais pu t'échapper..."

Le menton relevé, il me décrit les derniers instants du père de notre mère Gea'me. A l'imaginer ça me semblait déjà horrible, le vivre devait être plus horrible encore. Je note dans son langage corporel qu'il essaie de m'atteindre, sa langue me jette des mots comme un arc tire des flèches, il vise mon cœur, veut me faire culpabiliser.

"Et pourquoi vous venez me dire ça ? Ce n'est pas comme si j'allais prendre sa place.
- Le chef pense que tu as le droit de venir rendre hommage à ton ancêtre." Reprit Zufem, conscient que Tzelkuk n'aurait pas réussi à sortir ces mots. "Ton jeune frère devait te mettre à l'aise mais je comprends que j'ai commis une erreur de jugement...
- Alors tu ne connais absolument pas mon histoire. Ni toi ni aucun Scalp-rouge."
Je me surpris à cracher ces mots, un ton de reproche qui m'échappe. Ça aura suffit à mon jeune frère pour se lever, m'offrant un miroir très désagréable à regarder, comme voir une version plus jeune que moi.
"On la connaît tous, ton histoire ! Tu es un meurtrier ! C'est ce que tu m'as soutenu alors que tout le monde te cherchait une excuse. Tu m'as regardé dans les yeux et tu m'as dis que tu les avais massacrés !"

Je me souviens de cette conversation, enchaîné à un arbre, battu et brisé. Je ne sais quelles pulsions auto-destructrices m'ont poussé à porter le massacre sur le dos... Peut-être voulais-je protéger Igazi pour rattraper mes erreurs ? Acrae ne me l'a jamais dis mais je sais que ma soeur avait eu la chance de me libérer en prenant ma place, elle ne l'a jamais fais... Je ne sais pas si j'aurai supporté qu'elle le fasse mais une partie au fond de moi lui en a voulu quand même. Je crois qu'elle l'a ressenti après et que c'est en partie ce qui l'a poussée à devenir Akunda avant sa mort.

Je me lève en disant simplement "Je vais y réfléchir." et tourne le dos. Visiblement ça semblait irriter mon cadet au plus haut point. Il reprit sa tirade, aussi vindicatif que moi dirait-on...
"Tu les as massacrés comme tu as massacré Igazi quand tu en as eu l'occasion !"
Il ne le pensait pas mais il savait sur quels boutons appuyer. Mon échine se redresse comme un félin enragé et je sens les veines de mes tempes tripler de volume... L'audace de cette petite ordure !
"Tu ne veux pas parler comme ça avec moi. J'ai beaucoup de patience mais pas pour t-
- Tu détruis tout ce que tu touches. Pourquoi tu viendrai à Zul'kunda? En vérité je suis venu pour t'en dissuader. J'ai vu les tombes que tu as dressé derrière les ruines de ta hutte. Tu voulais te donner bonne conscience pour avoir tué autant d'autres Trolls ?
- Tu en tues continuellement parce qu'ils partagent ton territoire et n'ont pas la même couleur de cheveux !
- Mais moi je ne suis pas hypocrite. Je ne fais pas semblant que ça me blesse. Tu es un prédateur, mais le genre à tromper les autres."
Il fait le tour du feu et vient devant moi, trop proche, le doigt accusateur sur ma clavicule.
" Ne me touche pas." Était mon unique avertissement. Je le sens perdre en assurance l'espace d'une seconde, mais le vide laissé par cette lucidité soudaine est alors envahi par de la pure malveillance. A peine ai-je tourné les talons que je le sens soulever de la poussière avec son pieds. J'écarte son coup en me retournant et le frappe au visage si fort qu'il tombe sur le coté. J'anticipe cette chute et me jette directement sur lui. Nous roulons une demi-seconde et je me retrouve à genoux sur lui, frappant son masque à m'en blesser les mains. Je sens le bois qui craque, les peintures calcaires se couvrir de mon sang et je sens la tête et le cou du jeune troll céder, levant les mains pour essayer de se protéger. J'arrache son masque d'une main et empoigne sa défense dans l'autre, le regard visiblement terrifiant puisque je le vois écarquiller le sien de crainte. Deux paires de bras solides m'empoignent et me reculent. Beaucoup d'efforts sont déployés pour me calmer mais ce ne sont pas eux qui le font... Je me rappelle d'Acrae et me vient la pensée que je dois vivre encore longtemps... Je finis par me calmer et laisse les deux trolls s'occuper de Tzelkuk. Je m'éloigne dans la nuit en leur confirmant "Je dois y réfléchir."