Un changement à l'horizon

Elle s’était éloignée de la hutte. Une grande partie des trolls était partie en Pandarie pour aller sauver la savance. Elle avait préféré rester avec Wa’ai. Ses traits étaient tirés, elle ne dormait pas beaucoup depuis plusieurs nuits. Des rêves étranges, tout était sombre sauf une paire d’yeux jaune, elle se dirigeait toujours à l’aveugle, ne voyant rien, sauf cette paire d’yeux jaune. Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Et maintenant ça ? Assise dans l’herbe, elle regardait les paumes de ses mains, savoir si le problème venait d’elles ou non. Soupirant un grand coup, elle ferma les yeux et se concentra. Faisant comme d’habitude appel aux loas des arbres, elle prit bien son temps pour incanter. Des picotements dans ses paumes lui firent ouvrir les yeux. Une faible énergie verte apparut, se concentrant dessus, la trollesse plissa ses yeux, mais rien n’y fit, l’énergie disparut aussitôt.

Soupirant à nouveau, elle laissa ses mains retomber sur ses genoux. Après quelques minutes, elle refit un essai en faisant le vide dans sa tête mais rien ne se passa, l’énergie verte ne fit même pas la moindre apparition. Avisant un grand arbre pas loin, elle se leva et se dirigea vers lui. Posant sa main sur le tronc, elle ferma les yeux et se concentra à nouveau. Elle essayait d’entrer en contact mais l’arbre restait muet. Seul le faible mouvement du tronc et le bruissement des feuilles dû au vent lui répondirent. Rien, plus rien n’allait.

Elle s’assit à nouveau mais à côté de l’arbre. Faisant appel au calme dans sa tête et à toute sa concentration, elle essaya de nouveau d’incanter… sans effet. Elle se leva brusquement, poussant un cri de frustration et s’éloigna de l’arbre en se transformant en tigresse. Du moins essaya-t-elle de se transformer. Elle sentit son corps répondre un peu, sa vue changer mais rien ne se produisit. Stoppant net, elle ouvrit grand les yeux d’effroi. Que se passait-il ? Pourquoi ne pouvait-elle plus faire appel aux loas des arbres, et pourquoi même la transformation était si longue et laborieuse, jusqu’à aujourd’hui ou elle ne pouvait même plus le faire ?


Elle s’assit sur un rocher, les bras ballants. Puis, plusieurs fois, elle essaya de se transformer, et à chaque échec, sa frustration grandissait jusqu’à ce qu’elle craque. Poussant un cri de fureur et de frustration, elle martela le rocher à mains nues, fermant ses poings. Plus rien ne comptait que ce déchaînement de violence contre ce rocher, qui, vous serez d’accord avec moi, n’avait rien demandé. Elle n’arrêta que lorsque la douleur fut trop forte, et elle tomba à genoux d’abord en poussant un cri de douleur, puis en pleurant de frustration et de colère.

Elle entendit soudain un bruissement derrière elle, se retournant vivement, et à travers ses larmes, elle les vit : cachés dans l’ombre des broussailles au pied de l’arbre, les deux yeux jaunes comme dans ses rêves. Séchant ses larmes, elle regarda à nouveau, mais ils avaient disparu. Regardant ses phalanges, elle ne vit pas de blessures, et la douleur était partie. Le rocher par contre portait les stigmates de ses coups, surtout le sang qu’elle y avait laissé. La régénération trolle était peut-être miraculeuse, mais pas aussi vite, et sans prière. Que se passait-il ? Que lui arrivait-il ? Elle devait demander à Wai’ai, peut-être que la Grande Prêtresse pourrait la guide, au moins la rassurer.


Se levant, elle se dirigea vers la hutte. Voyant son bâton à terre, elle le ramassa et de rage le brisa en le frappant au sol. De toute façon, elle n’en aurait certainement plus besoin maintenant.

Elle avait parlé à la Grande Prêtresse. Elle lui avait raconté son rêve et la perte de ses pouvoirs. Cela avait intrigué Wa’ai. Comment un troll pouvait perdre ses pouvoirs comme cela. Pour elle, c’était certainement l’œuvre d’un Loa, mais lequel ?

« - Sans pouvoirs, la Jilanthy elle servira à rien pour protéger la Grande Prêtresse, et pour servir le Makoa Loa, avait-elle dit.
- Ah, parce Sala’Jin et Acrae ils servent à rien ? Ils n’ont pas de pouvoirs eux non plus, avait rétorqué Wa’ai.
- La Acrae, elle est une chasseresse, elle tire à l’arc, et c’est ça son pouvoir. Le Sala, il a un bouclier et il se bat avec une arme, et c’est ça son pouvoir, il est un protecteur. La Jilanthy elle pouvait soigner ou elle combattait en forme de tigresse. Et ça, elle les a plus. »

La Grande Prêtresse lui avait conseillé de laisser son rêve se faire, c’était peut-être un message du Loa. Elle aura certainement des réponses.

C’est ce qu’elle fit la nuit suivante. Elle s’endormit et comme toutes les nuits depuis plusieurs semaines, elle vit les yeux jaunes la fixer dans l’obscurité la plus totale. Mais cette fois, au lieu de fuir, elle fit face et regarda les yeux. Ceux-ci se rapprochèrent, et était-ce parce qu’elle ne fuyait pas, mais le paysage s’éclaircit autour d’elle. Une jungle épaisse remplaça l’obscurité et une panthère prit forme dans le paysage, à laquelle appartenaient les yeux jaunes.

La panthère se dirigea vers elle, mais quelque chose n’allait pas, elle était éthérée et parfois, elle disparaissait, sauf ses yeux qui eux restaient bien visibles. Une voix résonna dans sa tête :

« Enfin, tu ne me fuis plus, Jilanthy. Malheureusement, je n’ai que peu de temps. C’est la fin pour moi, alors, écoute-moi bien et ne m’interromps pas. »

La trollesse acquiesça silencieusement.

« Je suis Ar’Begha, le loa panthère de ta famille. Depuis plusieurs générations, j’ai donné le don aux trollesses de ta famille, celui de parle-loa et le don de se changer en panthère. Ta famille a toujours été généreuse avec moi, et mon don a été à la hauteur des offrandes. Az’Thanji, ta mère était la dernière. Elle est morte avant de pouvoir t’enseigner tout ce qu’elle savait sur moi, comment me parler, comment te transformer. Le don est venu à toi à sa mort sans que tu ne t’en rendes compte. Tu as réussi à te transformer, mais en tigresse, pour ressembler à ton frère tigre, avec lequel tu as grandi. Puis tu as appris la magie des elfes et ils ont pensé que tu étais capable d’être une druidesse parce que tu te changeais en animal. »

Plus le loa parlait, plus l’image disparaissait, et plus la voix devenait lointaine.

« - J’ai senti que tu t’éloignais de la voie des trolls, même inconsciemment, alors j’ai fait en sorte que les esprits de la nature elfes ne te répondent plus. Mais si tu ne peux plus te transformer aujourd’hui, c’est parce que je meurs. Et malheureusement, tu auras perdu ce don à jamais. Je sais que tu te demandes ce que tu vas devenir, comment tu peux servir tes sœurs et tes frères et protéger la vieille Parle-Loa. Tu sais déjà te battre comme un félin, il te faudra continuer, mais sous ta forme de trollesse. C’est… C’est la fin pour moi, mes tortionnaires m’achèvent.
- Ar’Begha, qui t’a fait du mal ? C’est la seule chose que la Jilanthy elle veut savoir.
- Des serviteurs… très anciens… crépuscule. »

Ce furent les seuls mots qu’elle entendit avant que l’image ne s’évanouisse définitivement. La trollesse se réveilla, en sueur. Sa famille vénérait un loa, et elle avait un don, le don de changeforme. Et c’était fini ça… Mais surtout, elle n’avait pas pu interpréter que le loa voulait lui parler. Elle aurait peut-être pu l’aider, la sauver. Et elle ne serait pas celle, par qui l’héritage aurait fini.
Rageusement, elle frappa le sol du poing. Puis regarda ses mains. Celles-ci allaient devenir ses armes. Elle allait suivre les derniers ordres de son loa. Puis elle allait retrouver ceux qui l’ont tué, les traquer, et les tuer, et ils pourraient toujours lui souhaiter « Bonne chance », c’est eux qui allaient en avoir besoin.

Le lendemain, Jilanthy commença à se chercher du matériel, pour faire un mannequin d'entraînement. Arrivant tant bien que mal à le monter, ce qu'elle fit à bonne distance de la hutte, elle commença son entraînement. Elle-même fut surprise par ses capacités. Elle devait certes s'améliorer grandement si elle voulait protéger Wa'ai et être à la hauteur.

En fin de journée, c'est quand même exténuée qu'elle prit son repas, surveilla un moment la hutte avant d'aller se coucher.

Le rêve fut tout autre. Un paysage désolé de terre rouge, le ciel avait d'étranges couleurs, des morceaux de montagnes flottaient dans le ciel. L'ambiance était pesante. Elle regarda ses mains. Elle était habillée d'une robe bleue et violette et devant elle, accroupi, un mâle troll observait caché derrière un rocher un campement humain, assez éloigné. Elle ne voyait que son dos et ses tresses bleues foncées tirant sur le violet. Soudain, une voix de stentor résonna, se répercutant sur les montagnes dépourvues de végétation :

"La Légion... envahira l'univeeers !!!!"

Sentant un profond agacement poindre, elle s'entendit crier en orc, regardant loin à sa gauche :

"- TA GUEULE !!!!
- Shhht, lui chuchota le troll en Zandali, qui se retourna, hilare. Le Thy'lan il essaie d'être discret. La Az'Thanji elle doit faire pareil.
- Oué mais il me casse les défenses lui à crier tout le temps comme ça, s'entendit-elle à nouveau, mais cette fois en Zandali.
- Ouais, il sait mais qu'elle s'inquiète pas. Il sait que la Az'Thanji elle est déjà énervée parce que le don de la panthère il fonctionne très mal ici. Et il sait également qu'elle peut pas discuter avec le Loa. Mais Ar'begha elle t'a donné d'autres pouvoirs que tu peux utiliser."

Elle s'entendit grogner pour tout réponse, déclenchant par là même l'hilarité du troll. Puis, reprenant son sérieux, il se mit à observer à nouveau le campement au loin. Puis, lui faisant signe d'attendre, il se déplaça, courbé en deux vers le campement, passant de cache en cache pendant qu'elle-même observait les alentours. Soudain, elle vit une silhouette portant un tabard bleu se diriger vers le rocher où son mâle était caché. Elle émit un long sifflement vers lui, le faisant se retourner et faisant arrêter le soldat également.

Elle lui signala par des gestes la présence de l'ennemi, un humain certainement, et le troll hocha la tête. Il parut disparaître un instant. Le soldat repris sa marche, sur le qui-vive, mais il ne vit pas le troll se redresser derrière lui, lui mettre la main devant la bouche et lui plonger une dague dans le cou. Accompagnant l'humain au sol, il le tira par la suite derrière le rocher, et entreprit de le fouiller. Elle-même se redressa un peu, eut une sensation étrange et vit que son corps avait revêtu une sorte de cape d'ombre. Elle se dirigea vers son éclaireur de mâle et l'ayant rejoint, elle lui demanda :

"- Alors, il a quelque chose d'intéressant le peau rose ?
- Nah, que des trucs d'humains, c'est juste une sentinelle, il aura pas de renseignement lui. On va juste s'approcher discret, observer c'qui s'passe et après, on rentre et on fait le rapport. On va laisser les héros paladins elfes entrer tout seul là-dedans."

Les deux crachèrent au sol en évoquant les elfes de sang. Qu'est-ce qui lui avait pris au Thrall de les prendre dans la Horde ceux-là ? Les drogués des arcanes... Enfin, fallait faire avec.

Thy'Lan ne trouva que quelques pièces de cuivre et d'argent à l'effigie du roi humain, qui avait disparu paraît-il. Il les laissa dans la bourse, puis coucha correctement l'humain, bras en croix sur son torse.

Les deux trolls espionnèrent de loin le campement de l'alliance, surveillant les patrouilles, comptant les soldats, puis, au moment où le camp commença a s'agiter parce qu'un des leurs n'était pas encore revenu, les deux prirent la poudre d'escampette. Leur mission était finie, il était temps de rentrer.

Jilanthy se réveilla. La nuit était encore bien présente, l'aube n'allait pas encore pointer le bout de son nez. Mais cela lui importait peu. Elle avait rêvé de ses parents, elle était elle-même sa propre mère et elle avait vu son père, bien distinctement. Où était-ce ? Elle ne connaissait pas ce paysage. Et est-ce que ça s'était vraiment passé ? Ou était-ce juste un rêve construit avec le souvenir de ses parents ? Elle resta un moment assise, quelque peu bouleversée, puis se coucha à nouveau. Mais elle ne se rendormit pas. Elle essaya de graver dans sa mémoire le visage de son père qui lui était apparut clairement. Elle devait se raccrocher à ça.